Aux victimes des extrémismes idéologiques, les drames de la certitude

Ce n'est pas le doute qui rend fou; mais  la certitude.
Friedrich Nietzsche

Comment? Pourquoi infliger une sanction absolue, comme la mort, pour un point de vue idéologique, qui est, et reste, relatif? Que ce point de vue soit  d'ailleurs philosophique ou politique. 

Le fait qu'il y ait des victimes, sacrifiées dans le Cameroun anglophone, pour parler de ce cas le plus récent, est un désastre.  Régulièrement, des individus sont massacrés pour des idéologies politiques, sociales et culturelles. 

Pour le cas de la religion, les exemples sont tristement nombreux, de la chasse aux sorcières du Moyen-Âge aux actes de terrorisme perpétrés plus récemment par des groupes armés.

Je ne dis pas que la certitude n'existe pas en religion. Il existe bel et bien. Et il existe bien des éléments de certitude, mais leur appréciation, leur interprétation, est et reste relative, relevant de l'expérience individuelle et culturelle de chacun, car l'absolu n'est pas du domaine de l'humain.

L'histoire nous apprend  que beaucoup d'individus ont pu subir la mort pour une idée prise pour être absolument vraie alors que par la suite, elle s'avère au mieux très relative, ou au pire, tout à fait fausse. 

C'est la raison pour laquelle en argumentation moderne, nous assistons au triomphe de la vraisemblance à la place du vrai (Breton 2011). Le vraisemblable caractérise le plausible et le possible. Le vraisemblable diffère du vrai dans le sens où un raisonnement vraisemblable est un point de vue cohérent et pertinent qui n'exclue pas qu'il puisse en avoir d'autres qui peuvent être tout aussi cohérents et plausibles. Par contre, le vrai a tendance à être exclusif, et tend souvent vers le dogmatisme : si A est vrai (et non vraisemblable), alors tout ce qui n'est pas A tend à être faux. Or, on peut tous voir un objet réel mais en avoir une image différente selon notre angle de vue (mon article sur  la perception).  


Il est un défi constant pour celui qui estime être dans le vrai (dans l’absolu) de tolérer l'autre qui n’y serait pas. Nietzsche disait en substance que ce n'est pas le doute qui rend fou; mais  la certitude. Dans le doute, aussi  dure que  puisse être la situation, on a toujours espoir de se tromper. Et dans la bonne nouvelle, le doute  nuance notre exultation.  

En cas de certitude, on a tendance a souhaiter  que les autres voient comme nous, quitte à les y contraindre! C'est ce qui arrive quand on veut libérer des gens contre leur gré, car bien sûr on est persuadé qu'ils sont emprisonnés, ou soumi(e)s, sans le savoir. 

L'argumentation se méfie du vrai car on a beau dire, l'histoire de l'homme est parsemé de vrais qui deviennent faux.

-  Le regard posé sur la femme dans le passé a essentiellement évolué, même si beaucoup de chemin reste à faire encore;

-  Le regard sur l'autre, de race différente, aussi. Une dimension inférieure, ou non humaine,  collée aux noirs n'avait jamais fait de doute à un certain moment dans le passé (le cas des États-Unis). Ceux qui ont vécu et ont fait subir l'esclavage diront qu'ils n'ont jamais eu l'impression de faire du mal. (Que dire des albinos encore immolés quelques part dans le monde, en Afrique....)

-  Le regard posé sur les animaux est en constante évolution;

-  Les généraux de Hitler diront devant les tribunaux, au-delà, du fait d'avoir obéi aux ordres, avoir subi  un discours dominant qui les avait conditionnés de sorte qu'ils ne pensaient pas mal faire.

- Les sionistes, parmi les juifs qui avaient pourtant subi les affres d'une vérité présentée comme irréfutable par le même Hitler, prennent aujourd’hui des actions qui font des victimes  palestiniennes au nom d'une autre vérité (Peuple élu et Terre promise) qui leur est propre;

-Le groupe armé État islamique fait des victimes dont plus de 90% sont des musulmans au nom de leur perception de la religion  qu'ils présentent comme la vérité, et tuent au nom de Dieu. Pour ce même dieu à propos duquel Reagan puis Bush ont théorisé l'axe du mal et ont posé des gestes qui ont engendré des morts, pour défendre un autre angle de vue de la même vérité.

- Lors de la prise d'otages (9 janvier 2015) du magasin supérette casher, un preneur d’otage (soi-disant) musulman a tué au nom de la religion  des clients du magasin alors qu’un employé du magasin (de la même religion)  dissimulait des clients à l’étage du bâtiment et les a soustraits de la folie de leur agresseur [1]!!!

On se rend compte que la plupart des cas cités, croisades, jihad ou sionisme, touche la religion.

Faut-il se débarrasser du vrai? Je ne crois pas. Chacun peut avoir sa vérité et la garder pour soi, même si la certitude de notre vérité peut nous pousser, par philanthropie, à vouloir la faire voir aux autres ... au prix de leur vie.


Malé Fofana PhD

ComUnicLang-Bataaxel
Cabinet de communication
Sciences du langage et communication
Sherbrooke, Québec, Canada



[1] Soulignons, en passant, que les médias n’ont pas du tout documenté ce petit détail (au sujet de la religion de l'employé héroïque ). Celui ci ne l’a pas non plus souligné lui-même. Peut-être parce qu’il ne souhaitait pas détourner l’attention, ou parce qu’il a fait son geste tout simplement dans le cadre d’un humain qui sauve des humains. Mais à la décharge les journalistes, c’est leur rôle de soulever ces aspects. Face à un match de soccer ou de basket-ball, ils s’assurent de présenter tous les enjeux de la rencontre, au point de rendre intéressant un événement sportif sans enjeu. Mais pour des événements aussi importants qui engagent des vies, on sélectionne et présente au public ce que le public veut entendre....

Commentaires

Messages les plus consultés