Le discours religieux dans le champ politique, un couteau à double tranchant



Retour sur les élections présidentielles du Sénégal.

Acte 1

Cette semaine, un adulte, sénégalais, d'un âge assez avancé m'a confié sa conviction selon laquelle Mr Ousmane Sonko aurait perdu le soutien de beaucoup de gens de son âge, et aurait compromis ses chances (sur un plan ésotérique)  de se voir confier la direction de ce pays,  du fait qu'il ait dit que  Dieu n'élit pas, ce sont les hommes qui élisent.

Deux choses à noter:
-  Tout individu qui ne connait pas le Sénégal, ou ne vit pas un contexte où la religion occupe une grande place,  ne verrait rien de choquant à l'affirmation décriée ; 
-   La conviction de l'homme respectable qui m'a confié son ressenti, est parfaitement valable. En communication, ce que l'auditoire ressent ou comprend a plus de valeur que ce que le locuteur a voulu dire en réalité. C'est au locuteur de s'arranger pour réduire cet écart.
Notons toutefois que la culture religieuse encadre tout cela en recommandant la prudence dans l'expression, mais aussi l'indulgence et le positivisme dans l'interprétation.
Mais ceci est une autre histoire ....

Le passage indexé  m'avait échappé lors de la campagne électorale. J'ai pu facilement retrouver l'extrait, soigneusement découpé sur Youtube, et  jumelé à un extrait audio sous-titré du Coran, que ces propos sont censés contredire.
C'est bien ce que Mr Ousmane Sonko a affirmé (Yallah  du fall nit mooy fall). Il a, par la suite, explicité sa pensée.

Dans un pays comme le Sénégal, il est  plus conséquent de faire preuve de précaution avec les  allusions à la religion. La question n'est pas que les sénégalais soient peu ou pas croyants, peu ou pas pratiquants ou hypocrites, ou qu'ils se soumettent à la religion, ou qu'ils l’instrumentalisent, comme cela est apparu dans un nombre importants d'analyses post-campagne. Cela est du jugement plus ou moins tangible.
Par contre, nous pouvons  tous être d'accord sur la présence effective de la religion dans la vie quotidienne. Cela est un fait. Les aventures de Mr Idrissa Seck devraient servir de leçon à toutes  personnalités politiques. Ses prises de risque sur ce plan ont valu à Mr Seck une traversée du désert que tout le monde pensait terminée. L'autre leçon à apprendre de lui est le fait qu’il ait mis en avant sa foi religieuse (ethos dit) alors que la perception que certains ont de ces actes s’oppose à ses propos.

Mr Ousmane Sonko a eu une posture plutôt intelligente à ce propos. Ne  pas proclamer , ne pas mettre sa conviction religieuse en avant, au risque de créer une contradiction par rapport à ses actes. Il a, en réalité, eu recours à l’ethos montré. Ses convictions religieuses cadrent  avec ses propos sans qu'il ait à l’affirmer explicitement. L'avantage est  qu'il ne lui sera pas reproché d’utiliser la religion si ses actes paraissent exprimer le contraire. Deux personnalités religieuses, à SudFm, Oustaaz Maodo Faye (Journal parlé) et Oustaaz Mbacké Sylla, pour l'émission d'analyse Jangat, tout deux des autorités religieuses, sont des exemples pertinents à ce niveau. Leur ethos (images), qui puise de la religion, est omniprésent sans qu'ils aient à l'exprimer formellement, dans les plateformes en question.

Pour revenir au propos de Mr Ousmane Sonko, la stratégie utilisée lors de l’événement en question est une technique bien connue en communication : annoncer un propos paradoxal pour avoir une forte attention de l’auditoire, pour ensuite profiter de cette attention et ajuster ses propos. Par contre, ne pas faire cela avec la patate chaude qu’est la religion, surtout quand on est dans un contexte politique.
Ce procédé est efficace et courant dans la communication coranique. Comme en attestent ce passage de la sourate al Asr "tous les humains sont en perdition ...sauf ...", ou encore "tous ceux qui prient seront punis... ceux-là qui... "(al Maa'uun).  Comme il est possible de le constater, il peut être question d’une annonce affligeante qui est nuancée et précisée, par la suite.

Mais il peut aussi s'agir d'une annonce très positive qui capte l’attention, le message principal intervient par la suite. Dans la sourate les coursiers (al Aadityaat), Il est question d'une engageante description des chevaux de guerre, en des termes  scrupuleusement équilibrés, au niveau de la versification, dans le rythme et la rime. Les analystes associent couramment ce rythme au galop des coursiers, en question. Mais au paroxysme de la description, une sentence inattendue très négative est adressée à l’auditoire attentif.

Les romanciers ont recours à cette technique, de même que les combattants (art martial, lutte sénégalaise, boxe....). L'auteur fait rire ou distrait le lecteur, l’adversaire ou l'audience pour que celui-ci baisse la garde afin de pouvoir porter un coup fatal. August Wilson, par exemple, dramaturge américain y a eu recours dans sa formidable oeuvre Fences.

Maintenant, dans un contexte politique où toute faille est exploitée, à l’air de la manipulation du son et de l’image, ceci est une posture risquée.  
À la place de dire que Dieu n'élit pas, ce sont les hommes qui élisent, et être victime d'un travail de découpage, et de décontextualisation.

Je dirais, pour couper la patate (chaude), en deux :

"c’est Dieu qui élit, (mais) ce sont les hommes qui votent".

Malé Fofana PhD

ComUnicLang-Bataaxel
Cabinet de communication
Sciences du langage et communication
Sherbrooke, Québec, Canada

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