Cheikh Ibra et le sàbr du vautour



"waayoowaay dimbali maa,  tool bi ñoragul"
Oumar Pène
Comme son nom ne l'indique pas
la patience, plus qu'un art,
est une science.
Qui plus est,
elle épure 
et dure.

Avec une sérieuse attention, observe les animaux. La faune porte le cachet du divin. Et contrairement à l'humain, créé d'argile, malléable à souhait et en constante évolution, les prouesses du Créateur sont, chez les animaux, cristallisées et conservées,  stables et intactes. Alors  que l'homme est un devenir, le tigre a beau être féroce, il ne peut être plus tigre que tigre. C'est écrit dans ses gènes. Fertile terreau d'observation, chaque animal qui disparaît alors emporte avec lui ses secrets. Les vautours sont de cette espèce. Du Gyps africanus au Vulture gryphus, le fameux condor des Andes, ils sont les témoins du temps qui passe... Les vautours, note Kerri Wolter,  sont soumis à un rythme d’extinction inouï. Le Gyps africanus a connu une déclinaison de 90 % les 30 dernières années.  Ils sont principalement victimes des braconniers. Ils empoisonnent les carcasses d’éléphant afin que la présence des charognards ne les fasse pas repérer. Bon débarras? Non. Il disparaît avec eux un maillon de la chaine qui, par le  nettoyage des corps en décomposition, aide à arrêter la propagation de maladies  (Julius Arinaitwe).

Pourquoi ai-je le sentiment que je dois  me justifier pour ne pas me faire juger ou fustiger? Je vous rassure quand même,  je ne suis pas levé un bon jour avec le goût de faire une recherche sur les vautours . Et Pourtant, la lugubre réputation de cet oiseau est une simple connotation que les hommes lui ont collée, comme a massacré Hitchcock l'image du corbeau. Je peux comprendre cette image car le vautour incarne le versant mystérieux de l'inconnu, l'idée de la mort. Mais la grande Muette, au final, n'est qu'un spectre d'une situation en constante mutation vers une autre, al Mawt. Voilà pourquoi le monde fut stupéfait de voir ceux de la tribu Xhosa, danser allègrement lors des funérailles de Nelson Rolihlahlah Mandela. La vie est passerelle entre la Parole éternelle du Quran et la Sublime silencieuse.

Entre ses deux, l'observation de la nature est une règle de vie, de l'Afrique profonde. Une  philosophie loin d'être rétrograde. Les grandes inventions ne sont-elles ont pas nées de l'observation de la nature? D'où vient la forme aérodynamique? La loi de la relativité,  de la réfraction. D'Archimède à Newton, on ne fait que déduire, dé-couvrir et puiser dans le champ du Magnifique Al Faatir.  Certains disent même que le mot avion est un acronyme pour Appareil Volant Imitant l'Oiseau Naturel. Et voilà pourquoi Le wolof appelle l'oiseau de fer, "fafalnaaw" (envole toi enfin). Le Gracieux ne nous conseille-t-il pas d'observer la nature, le ciel, la fourmi, l'abeille, l'araignée, le chameau...? 

Je me suis intéressé au vautour, car je vous viens avec un enseignement (repris par Khayar Mbodj) que je tiens de Baay Ndiaga Diop*. Il nous l'a soufflé juste avant de tirer sa révérence. La première fois que je le voyais, j'avais mal interprété son intonation. Mais aujourd'hui j'ai appris. J'avais mépris sa prise de congé pour une prise de contact, comme en Hawaïen où le même terme peut porter les deux sens.  Baay Ndiaga s'est présenté à moi comme un des gardiens de l'oralité moderne.  Il a su nous parler avec des faits tangibles de Maam Cheikh, l'énigme Ibra Fall, avec une rigueur ténue en matière de sources, de références et  témoignages. Voici une de ses dernières leçons. Un regard de Maam Cheikh Ibra qui vaut le tour :
Alors que mourir nous rit au nez, le vautour en fossoyeurs des cas graves  se nourrit de cadavre et nous allègent de nos fardeaux. Le vautour ne touchera pas un être mourant tant qu'il restera à celui-ci un souffle de vie. Tout comme certains prédateurs abandonnent la proie qu'ils ont attrapée dès l'instant que le corps de celui-ci devient froid. La nature nous parle, écoutez. Le vautour traine rarement avec ses congénères mais il sait où les trouver, et comment communiquer avec eux. Il ne mange jamais sans eux. Il ne touche pas à la carcasse tant que le chef n'est pas là. Celui ci, qui donne le premier coup de bec, ne prend jamais plus que sa part.
Arborant ses bas blancs, il commence toujours par battre ses ailes aux extrémités immaculées pour rendre grâce à ses sujets. Chez les  vautours, celui qui découvre une aubaine ne se cache jamais pour en profiter. Ceux qui ont été appelés ne gâchent jamais ce à quoi ils sont conviés.
Mais attention, on  ne peut verser dans la patience sans d'abord observer, puis ensuite agir. Et enfin se laisser bercer d'endurance. Puisse le monde vivre de patience. Mais ne pas confondre patience et attentisme. N'est patience que la phase qui suit une mure observation, une réflexion achevée. La patience se lève seulement quand le corps fatigué et statisfait du travail accompli sombre dans le repos. C'est un acte d'extrême dévotion, plus que de l'humilité, c'est de l'intelligence. Nulle ne peut forcer la main de l'Unique (ayaat al kursiyu). Fais ce que doit advienne comme Dieu voudra. 

Peu importe les trois formes de patience évoquées à la lettre dans le corpus coranique, à savoir la patience pour (li), dans (fee) ou contre (àlaa), Le Très-Haut nous confie qu'Il est le compagnon de route des endurants, ceux-là qui s'arment d'un sabre (sàbr: patience en arabe classique) jameel (d'une beauté sublime).  

Inna Allaha ma'a saabireen. 

* Quartier Général,7 mai 2020, TFM. 



Malé Fofana PhD

AuteurConseiller linguistique et communication 

ComUnicLang-Bataaxel

https://www.comuniclang.com/

Sherbrooke, Québec, Canada 



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