Tireur d'alerte, lanceur d'élite

 

Quand tu t'absentes 
Et que tu veux protéger
Ta maison du cambriolage, 
Confie tes clefs 
Au voleur du village. 
Tel est l'art de couper l'herbe 
Sous le pied. 

 
Quand un individu devient à son insu l'ambassadeur d'une communauté, il doit vérifier ses faits et gestes, user, et ruser, de ses forces, et, surtout, de toute sa tête. Marion Barry et Mike Tyson en ont fait les frais. Le boxeur Rubin Hurricane Carter le savait bien. Mais il luttait contre un adversaire plus fort, qui l'a finalement coincé. Mais même au fond d'un cachot, il ne baissa pas les armes. Il devait avoir le sens de la lutte dans le sang. Ses ennemis avaient son corps mais pas, comme disaient Mohandas Karamchand Gandhi et Stephen Bantu Biko, son obéissance. 

En prison, le pouvoir de ses bourreaux sur lui se limitait à lui priver du plaisir des sorties quotidiennes dans la cour, profiter du soleil. Pour leur enlever cet outil, il décida de ne plus sortir de sa cellule. Leur autre arme était sa femme.  Comme celle-ci venait régulièrement lui rendre visite, et qu'au gré de leur humeur, l'administration carcérale se réservait  le droit de lui interdire ces visites quand et comme ils le souhaitaient, Hurricane, leur coupa l'herbe sous les pieds. En décidant, tout bonnement, de se séparer de sa femme. 
 
Cette méthode, celui de couper l'herbe sous le pied, la société traditionnelle Africaine, en tout cas Sénégalaise, en use à souhait, depuis longtemps. Elle a même osé, l'essayer contre le Tout-puissant. Quand une femme connaît des fausses couches répétées, les anciens recommandent aux parents de nommer le prochain nouveau-né "yaqq m'boot'u, ya'a dikk'oon, ken bëg'ul, ya'a xam, xaar yallah...". Une manière de parler à Celui qui prend les âmes, ou même à l'enfant, en leur disant: " je sais que je gaspille mon argent en t'achetant des habits ; c'est toi qui étais de passage; personne ne veut de toi, de toute façon; Tu peux faire de lui ce que Tu veux; Attends la décision de Ton Seigneur..."
 
Le phénomène de lanceur d'alerte fonctionne un peu de cette manière.  Il prend de plus en plus d'ampleur, avec notamment la naissance du journaliste citoyen qui remplace son homologue journaliste d'investigation, et l'activiste qui remplace les tenants de la société civile.

Sniper urbain, celui-ci semble être un guerrier de la communication ou un griot des temps modernes . Il lui faut une bonne dose de courage, une langue bien  solide, un cœur chevillé au corps et les oreilles qui traînent. Nul besoin de préciser qu'il a aussi un bras long, invisible, qui permet de mettre la main sur les sujets qu'il dénonce. 
 
C'est un métier dangereux, car on se met à découvert, et on court le risque d'être attaqué pour diffamation. Mais il est aussi confortable dans le sens où chaque fois que le thème annoncé se produit, il augmente son capital sympathie. Et quand l'affaire  dénoncée ne se produit pas, il pourra toujours dire que "c'est parce que j'en ai parlé que cela n'a pas eu lieu". Au final, il est question de prendre les devants face à  un adversaire plus puissant. En wolof, on disait que pour sauver ses œufs du vol, il faut les confier au voleur d’œufs du quartier.

Il s'agit de retirer le sabre des mains du bourreau, au moment où celui-ci s'apprête à frapper. Ou encore, bien plus tôt, à son insu, lui subtiliser la lame, et le laisser se promener, comme dit Cheikh Bara Ndiaye, avec une gaine vide.

Malé Fofana

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