Entre connaissance langagière et compétence communicationnelle
Entre connaissance langagière et compétence communicationnelle
Quelles erreurs corriger quand je
parle? Tout ce qui peut perturber ou distraire mon auditeur (mon interlocuteur),
et pousser celui-ci à se concentrer sur la forme à la place du fond des propos
qu’il entend (form vs function)[1].
Autrement dit, le bruit en
communication est ce qui fait que l’auditeur est plus interpellé par comment je parle plutôt que par qu’est-ce que je dis.
Le bruit communicationnel
Dans la communication, un bruit est
tout ce qui parasite ou brouille le message. Le bruit n’est pas seulement une entorse
à la grammaire. Il peut être lié à la gestuelle, à la prosodie, à l’accent, à la
prononciation ou au choix des mots. En effet, la recherche du prestige
linguistique (l’hypercorrection) peut se faire au détriment de la fluidité de
l’expression orale (accuracy vs fluency) ou même de la compréhension. Une
fluidité dans la production des propos peut s’accompagner d’erreurs, mais un
choix réfléchi des termes utilisés, un accent mis sur les mots les plus
importants de la communication[2],
et un bon usage de la prosodie (rythme, pause, intonation...) peut donner de
meilleurs résultats sur le plan communicationnel.
Le terme approprié
Pour ce qui est du choix des termes
dans la communication, il peut s’agir par exemple du fait d’utiliser un terme
plutôt neutre (non marqué) pour ne pas causer de distraction. Dans un contexte québécois, par exemple,
recourir au terme appliquer (à un emploi)
à la place de postuler dans le cadre
d’une entrevue, pourrait permettre de garder l’attention de l’employeur[3].
Ceci touche la question des compétences de communication. L’apprenant de langue
seconde tend à être très outillé pour présenter un propos, à la place de tenir
une interaction. Il a tendance à utiliser des termes soutenus, alors que
l’apprenant de langue maternelle tend à avoir le contraire : une richesse pour
ce qui concerne le niveau de langue familier.
Une spécificité des cultures orales
De plus, pour les apprenants
provenant de sociétés à culture orale (comme en Afrique), il est notamment
remarqué le goût pour les grands mots
et expressions (Depuis que le monde est
monde, depuis la nuit des temps …) cette pratique n’est pas à bannir. Il
faudrait plus plutôt faire un travail sur les compétences communicationnelles.
Pourquoi est-ce que je m’exprime? Est-ce pour montrer mes capacités de maitrise
de la langue[4],
ou pour transmettre un contenu? À qui est-ce que je parle? Qu’est-ce qui
importe pour mon auditeur?
L’accent sur l’intonation
Au niveau de la prosodie, le fait
de mettre l’accent sur les termes les plus significatifs d’un énoncé oral est
un gage de réussite. Un apprenant d’une langue pourrait mettre l’accent dans
son énonciation sur les termes lexicaux, à la place d’insister sur chaque terme
(lexical et grammatical[5]).
Le fait d’avoir appris la langue dans un contexte (ou avec un matériel) non
authentique, peut pousser l’apprenant à faire attention à tous les mots, émis
dans un contexte dénué de contraintes. En effet, en situation authentique, les
mots grammaticaux sont généralement les plus faiblement accentués. L’accent
fort est mis sur les mots lexicaux, proportionnellement, du plus au moins
important. De cette manière, celui qui parle indique à l’auditeur où placer son
attention.
La gestion des silences, et des pauses
Toujours au niveau des compétences,
la gestion du silence se pose. Comment, par exemple, éviter les silences quand
je suis en train de réfléchir et de recherches des mots pendant que je
m’exprime. Un apprenant (généralement de langue seconde ou étrangère) peut
avoir l’impression, toujours sous l’influence du matériel non authentique,
qu’il doit parler la langue de manière rectiligne et linéaire (sujet, verbe,
objet) sans ratés, reprises, hésitations ou bégaiement … Par conséquent, un
vocabulaire suffisant est bien sûr nécessaire, mais le vocabulaire n’est jamais
assez, et la peur de manquer de mots (d’idées) peut pousser un apprenant à
avoir peur de prendre la parole. Que
faire si je n’ai pas le bon mot? Nous savons que les silences dans une
énonciation peuvent être stressants (cela dépend aussi de la culture et de la
cause des silences). Que faire pour éviter ces silences? Parler tout le temps,
forcer les idées, n’est pas possible (même en cas de langue maternelle). Par
conséquent, il faut avoir les outils pour meubler ces temps de réflexion, avec
de petits mots et expressions pour maintenir le fil du propos (fillers, phatiques …[6])
en les variant et sans en abuser. C’est comme le dribble au soccer ou au
basket. La même chose se passe avec la langue maternelle. Observer une
transcription, voir par écrit ce qui est textuellement émis en situation orale
peut aider.
Observer la langue maternelle
Observer la langue maternelle peut
aider aussi en compréhension. Elle permet de se rendre compte que la
compréhension orale ou écrite est un jeu de décryptage et de devinette. Un
apprenant peut avoir peur de lire des documents non scolaires parce qu’il n’a
pas assez de vocabulaire. Mais quand nous parlons au téléphone dans notre
langue maternelle, la faiblesse du réseau peut brouiller parfois certains
termes. Mais nous les reconstituons pour rétablir le sens, la même chose se
fait pour la compréhension orale comme écrite. La compréhension ou le langage
lui-même est assez répétitif en situation de compréhension écrite ou de
communication orale. La compréhension n’est pas toujours simultanée. Si un
lecteur ou un auditeur s’inquiète pour des termes qui lui ont échappé, il peut
perdre toute chance de les rattraper. En effet, un mot (ou une expression) reçu
plus tard dans un texte écrit ou oral, peut permettre de comprendre un terme
précédemment non compris[7].
Nous gagnerons à amener nos
apprenants à observer leur langue maternelle, et tirer profit de stratégies
qu’ils mettent naturellement en œuvre dans ce cadre, pour le bénéfice de la
pratique des langues secondes. Le processus d’apprentissage, d’acquisition et
de maitrise de la langue maternelle est un exemple de réussite infaillible. Un enfant
sain maitrise sa langue maternelle, quelle que soit sa langue, dès l’âge de 5 à
6 ans[8]!
Dalla Malé Fofana
PhD
Chargé de cours
PhD. Études fr., Linguistique
et Communication,
M. Sciences du langage,
langues secondes
Université de Sherbrooke ;
Bishop’s University
fofan002@gmail.com
http://dallamalefofana.blogspot.ca/
[1]
Quand nous parlons du fond, il est question du message en question (le
contenu). La forme est la manière à travers laquelle le message est transmis.
[3]
Cela dépend aussi de l’emploi en question, bien sûr.
[4]
Cf. la négritude, les griots…
[5]
Sauf si, bien sûr, la modalité grammaticale est importante.
[6]
Exemple : (français) en fait, euh,
qu’est-ce que je voulais dire? (anglais) you know, I mean, (wolof)
xam nga degg nga (arabe) yah nii, (portugais) nao e …
[7]
Les connaissances préalables sur le domaine en question jouent aussi un rôle
important (cf. Top/down ou bottom up); Approche onomasiologique vs sémasiologique.
[8] Dans
des articles futurs, nous reviendrons
sur les atouts biologiques propres
aux enfants en matière d’apprentissage/acquisition de la langue
maternelle.
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