Regards croisés sur deux œuvres d’Ibrahima Diome: entre silence et lumière.

 

"Prima di decostruire, bisogna saper costruire" 

Pablo Picasso

LES OEUVRES

Un pinceau dans le silence   

Les deux derniers recueils d’Ibrahima Diome se répondent et se complètent d'une certaine façon. L’auteur semble nous confier, en filigrane, qu’il a pris ses pinceaux pour esquisser un univers né de la profondeur du silence. De tous ceux qui ne disent mot, bien peu restent silencieux.  

Deux recueils, deux horizons poétiques

Les parfums du silence offre une poésie spirituelle, ancrée, chaleureuse, plutôt tournée vers les autres et vers le réel. À l’inverse, Aquarelles des chanterelles propose plus une vision introspective, esthétique, aérienne, ouverte sur le langage, l’imaginaire et la contemplation. Le premier recueil cherche à toucher, à témoigner, à relier ; le second tend à éveiller, à révéler, à explorer. Deux visions du monde, deux voix poétiques authentiques, deux chemins vers le sens.

Des tonalités contrastées

Sur le plan des thématiques et des tonalités dominantes, Les parfums du silence s’inscrit dans une tradition où la spiritualité, la mémoire familiale, l’amour et l’engagement social tissent la trame des vers. Le recueil est traversé d’élans mystiques — hommages à l’islam, à la paix, au prophète —, de cris du cœur pour la justice — hymnes à la liberté, à la Renaissance africaine —, mais aussi de tendres déclarations, adressées à la mère, à l’épouse ou à l’être aimé. Aquarelles des chanterelles, quant à lui, se veut plus expérimental. On y perçoit des pulsions sensorielles, des élans imaginaires, des figures de style audacieuses. Le poète y explore les profondeurs du soi, les mystères du langage et de l’existence (Soupirs omnichromes, Mon hivernage lexical, Divinations diluviennes). L’accent est mis sur la forme, la sensation, et une spiritualité plus diffuse, moins institutionnelle mais tout aussi vibrante.

Deux structures pour deux quêtes

En ce qui concerne la structure et la progression, Les parfums du silence déploie une progression thématique cohérente : de l’intime au spirituel, du politique à l’amoureux, chaque poème semble guidé par une vision éthique et affective du monde. Le recueil donne l’impression d’un engagement total du poète dans sa foi, ses luttes et ses amours. À l’inverse, Aquarelles des chanterelles adopte une structure plus éclatée. L’ensemble se présente comme une odyssée intérieure, un kaléidoscope poétique où chaque texte constitue une variation sur les thèmes de l’être et de la création. L’auteur y livre sa voix à travers une pluralité de formes : poèmes-hommages, rêveries, extases langagières. La progression y est moins linéaire, plus ouverte à l’errance esthétique.

La langue comme matière vivante

Le style, assez accessible mais intense dans Les parfums du silence, est au service du message, de l’émotion et de la transmission. La poésie devient ici un outil de mémoire, de communion, voire de militantisme doux. Dans Aquarelles des chanterelles, la langue se fait plus libre, plus plastique : elle joue, elle rêve, elle s’étire dans les images, les sons, les variations lexicales. La quête du mot juste s’y conjugue à une quête de musicalité intérieure propre à l’émotion du poème.

Deux postures d’auteur

Deux figures du poète émergent. Les parfums du silence révèle un homme de foi, de mémoire et d’action, profondément ancré dans sa communauté, dans ses valeurs, dans son histoire. Le poète y est frère, fils, époux, croyant, témoin engagé d’un monde en devenir. Aquarelles des chanterelles, pour sa part, donne à voir un explorateur du verbe, un voyageur intérieur, un alchimiste du langage. L’auteur y rend hommage à ses modèles, mais adopte une posture plus artistique que militante, plus onirique qu’identitaire.

 L'AUTEUR

Portrait d’un compagnon 

« Le poète », « Baudelaire », puis aujourd’hui, « la Plume du Baol » : les surnoms donnés à Ibrahima Diome jalonnent les différentes phases et facettes de son parcours. Il s’était imposé, avec rigueur et méthode, comme un maître précoce de la versification. Nous étions dans le même cercle scolaire, à l’heure où nous découvrions le sonnet.

En toute franchise, je voyais alors cette forme comme une entrave à l’imaginaire. Je m’étonnais qu’un mouvement tel que le romantisme, qui prônait l’intuition et la liberté, ait pu s’encombrer de ces menotes mentales qui font penser au corset des femmes aristocrates du XVIIIe siècle.

Ibrahima n’avait pas seulement adopté ces règles, il les avait intégrées, domptées, jusqu’à les faire siennes. Il m’avait un jour dédié un poème. Sur le moment, je me suis senti spécial. Puis en découvrant qu’il avait  fait de même pour d’autres camarades envers qui il nourrissait de l'estime, je comprenais  que c’est lui qui était particulier, par sa générosité, sa constance, sa foi en l’humain et en la langue.

L’intuition au cœur de la rigueur 

La poésie connait présentement une période de modernisation et de libération, Ibrahima ne s'exprime plus bien sûre à travers le sonnet. Mais il est l'illustration de l'affirmation de Pablo Picasso, initiateur du cubisme, principe d'explosion des formes. Celui-ci postule qu'avant de se donner le droit de déconstruire, il faut d'abord maitriser les techniques et l'art de  la construction. 

Nous avons eu, au fil des années, d’innombrables conversations, toujours profondes. Je prends plaisir à le taquiner sur les relents de métalangage qui parsèment parfois ses vers, et peuvent heurter, selon moi, la fluidité.  Mais ces termes qui peuvent sembler complexes pour la majorité du public relèvent, chez lui,  de l'intuition.

Diome est peut-être un albatros, au sens baudelairien du terme : une âme vaste et libre, souvent incomprise. Et pourtant, il parvient à conjurer la dichotomie et conjuguer l’élévation de l’imaginaire à une rigueur presque scientifique, qu’il déploie aussi bien dans son rôle de critique d’art que dans ses fonctions d’inspecteur de l’éducation.

Deux versants d’un même monde

Les deux recueils qu'il nous présente ne sont pas deux visages opposés. Ils sont les deux versants d’une même montagne. Ibrahima Diome y explore à la fois la force du silence et la richesse du verbe. Il célèbre l’autre autant qu’il interroge le moi. Il plonge dans la réalité sans jamais cesser de rêver. Cette envergure fait de lui, au-delà du poète, un passeur qui relie des ponts intemporels.

 Malé Fofana PhD 


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