Le retour des lamantins







"Xale ba demoon géeju ndayaan, xol baa ngii."

Je ne me rappelle plus l’histoire, mais la mélopée m’est restée. Les refrains ont une âme chevillée au corps. Paix à nos mères, qui ont encapsulé cette mélodie dans cet oasis suspendu, hors des berges de l’oubli.

Évanescence

Je n’ai jamais osé poser le pied sur la terre de mon pays sans aller me ressourcer au Baol, et m’arrêter au CEMT. Un endroit dans lequel le silence a une voix : celle des belles années de sacrifices et de victoires. Un lieu sacré où des rêves ont germé, des combats ont trouvé sens. J’y vais comme on retourne à ses racines. Et refont surface nos combats et nos "comebacks". Malgré les vents contraires et les contraintes de ces années tourmentées, marquées de vives turbulences politiques, nous avions tenu bon. Ce lieu nous a vus réaliser, entre les fissures des agitations, nos promesses les plus folles : berceau de rêves concrétisés, creuset d’initiatives, et de dépassement de soi. Une tristesse tenace m’a habité quand j’ai revu, en juin dernier, la grande salle de gymnastique, rongée par l’oubli. Je me disais, peut-être, que les jeunes, entre deux matchs de football, auraient pu offrir quelques heures de labeur à ce lieu, juste pour le faire respirer.

Renaissance

En revoyant les images de la visite du ministre de l’Urbanisme, samedi dernier, venu observer le résultat des efforts pour dégager l'école inondée, des souvenirs ont rejailli. Devant un lieu enfin libre des eaux, un miracle discret : des poissons, apparus là où l’on ne voyait que stagnation et abandon. En quelques jours, une vie nouvelle a surgi. Un microcosme marin, qui survit là où tout semblait mort. Un écho timide, venu nous rappeler ce que le Baol a pu être. Quand Martin Luther King disait : "Only when it is dark enough can we see the stars", il ne faisait que paraphraser le Sublime. Comme l’a souligné le ministre : derrière chaque difficulté, vient une facilité.

Mémoire et imagination

Cette mémoire vivante a nourri l’écriture de mon roman, L’Odyssée des Lamantins, en 1996. Cette vision m’avait guidé, lorsque j’écrivais les premières lignes dans la cour de l’école, la tête pleine d’images. Le premier paragraphe évoquait la verdure à la sortie de l’école. Le virage de la route devant la grande porte avait inspiré le premier acte du livre. Route surélevée, comme un monde suspendu. De l’autre côté, un bassin de végétation dense. C’est là que le cœur du livre prit racine. Ce paysage a nourri chaque ligne, chaque image, chaque souffle.

Le signe des eaux

Maintenant que l’eau tend à revenir, est-ce un signe? Un murmure. Un rappel que, dans le grand cycle du vivant, rien ne meurt vraiment. Peut-être que géeju Ndaayaan n’est pas une légende. Peut-être que cette chanson est une mémoire codée, transmise par les mères de nos mères : "Xale ba demoon géeju ndaayaan…" Pour que nous n’oubliions jamais ce que le Baol a été, ce que Ndaayaan fut.

Un appel de la nature

Aujourd’hui, chaque matin, la nature nous tend la main. Elle nous offre une bêche — humble, silencieuse — pour retourner la terre de l’oubli. Elle nous parle. À nous de comprendre. Je rappelle toujours aux jeunes que Cheikh Anta Diop a vécu dans les mêmes conditions que nous. Rien ne le prédestinait à briller, et pourtant, il a illuminé le monde. Certes, nous n’avons pas besoin de savoir que les Africains furent les premiers dans bien des domaines, pour oser. Mais savoir que cela a déjà été fait, savoir que le Baol a déjà été flamboyant, cela donne de la force. Cela redonne au rêve sa légitimité.

Une invitation à l’action

C’est le moment de taire les petits combats, et de faire les grands constats. Loin des lamentations, observer la nature, entreprendre une lecture mature, lire entre les lignes, déchiffrer les signes, dégivrer la vision du vert Baol. Laisser la place aux experts, mais que ceux-ci ne négligent point les lumières de nos pères, la science n'étant que la somme des expériences humaines. Qu’ils s’arment du cœur de nos sœurs, de l’énergie de nos frères, et de l’âme de nos mères, qui ont emprisonné pour l’éternité le souvenir du vert Baol - ca Géeju Ndaayaan.

Soulager les sinistrés. Redonner vie à leurs maisons. Convoquer la raison. Entrevoir l’avenir. Tirer les leçons. Interpréter tous les sons et les échos. Cultiver l’imaginaire. Elle seule nous donnera l’énergie d’appliquer les plans déterminés, et fournira des ailes pour voir au-delà des frontières de la réflexion.

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