Perspective et retour sur le drame de l’émigration clandestine



Barça wa la Barzaq (Barcelone ou la Mort),

Perspective et retour sur le drame de l’émigration clandestine

 
Dalla Malé Fofana PhD
Chargé de cours
PhD. Études fr., Linguistique et Communication,
M.  Sciences du langage, langues secondes
Université de Sherbrooke ; Bishop’s University
fofan002@gmail.com
http://dallamalefofana.blogspot.ca/






Résumé
En 2006, une vague d’émigration clandestine sans précédent quitte les côtes africaines pour submerger les côtes espagnoles et italiennes. Il s’agit d’un phénomène exceptionnel qui a occasionné des réactions exceptionnelles. Mais au bout du compte, il révèle un tournant dans la psychologie du candidat à l’émigration (ou à la mort). Il s’agit d’une psychologie qui révèle une détermination à toute épreuve, une témérité au-delà de l’imaginable. C’est un sentiment de force qui semble naître d’une profonde situation de désarroi transcendé et de la démythification de la mort. À travers une approche diachronique documentée à mesure que cet évènement se déroulait, nous avons tenté de décrire sa progression, de l’origine du phénomène, au portrait des candidats, les conditions du voyage, et l’impact et les réactions et mesures qu’elle a suscitées autant en Afrique qu’à l’international.
Mots-clefs : émigration clandestine, le Sénégal, pirogue, jeunesse, politique, le plan Réva

Introduction

En 2012, sur les côtes tunisiennes, il est question de « cinquante-deux jeunes rescapés du naufrage de Lampedusa[1]». Il s’agit de candidats à l’émigration clandestine pour le sud de l’Europe. Cet incident ne fait réveille un douloureux souvenir, pas si vieux, dont les images hantent les familles des victimes de beaucoup de pays ouest africain comme le Sénégal.
En effet, quelques six années plus tôt, en 2006, partait depuis ce même périmètre (côte nord-ouest de l’Afrique), un vaste mouvement d’émigration clandestine dont la plus grosse vague, pendant la deuxième partie de la même année, partira des côtes ouest africaines, pour rejoindre l’Espagne. Les revendications des candidats à l’émigration ont une forte connotation politique. La situation économique du pays dont une certaine opinion populaire s’accorde à prendre le régime du président Abdoulaye Wade pour responsable, a vu en effet au Sénégal la naissance d’une nouvelle vague d’émigrés. Ce que la presse a appelé la « marée noire » est un phénomène inouï tant au niveau du nombre des candidats que des moyens mis en œuvre, autant par les candidats que par les gouvernements concernés. Les « aventuriers de l’Atlantique » ou « les fous de la mer » [2] ont suscité un fort émoi dans la population sénégalaise et ouest africaine.
Ces émigrés qui dépeuplent les côtes et l’intérieur du Sénégal pour aller « submerger » les côtes espagnoles est le fait de jeunes qui érigent l’émigration en ultime recours au marasme économique et aux difficultés qu’ils rencontrent dans leur propre pays. Déjà, en janvier 1999, un jeune Sénégalais qui voulait émigrer en se glissant dans un train d'atterrissage d'un avion a trouvé la mort. Il avait réussi l’exploit une première fois. Il avait survécu à «moins cinquante degrés à une altitude de 10 000km[3].» C’est après avoir été ramené au Sénégal qu’il a retenté une deuxième fois le voyage dans les mêmes conditions et y est resté. Cet aspect (l’âge des candidats) et surtout leur état d’âme est un point marquant du nouveau phénomène. Peu de temps après, deux jeunes guinéens meurent en tentant de rejoindre l’Europe clandestinement également dans le train d’atterrissage d’un avion. Par contre, ce qui était nouveau, c’est la certitude que ceux-ci avaient, avant de partir, qu’ils allaient y laisser leur vie. En effet, une lettre a été retrouvée, écrites trois jours avant leur départ à l’intention des dirigeants européens : « si vous voyez que nous sacrifions nos vies parce que nous les enfants nous souffrons beaucoup en Afrique ». Ces jeunes avaient 15 et 17 ans[4].
Cette présentation est une revue historiographique de sources essentiellement constituées de documents électroniques qui offrent une présentation diachronique de la genèse, la mise en place et le déroulement du plus grand phénomène d’émigration clandestine née, d’une histoire très récente, sur les côtes ouest africaines. Nous nous penchons sur les acteurs et les victimes de ce drame sans précédent, nous exposons aussi les conséquences et l’impact qu’il a eu sur le Sénégal et sur les pays européens concernés.  

1.              La mentalité des candidats à l’émigration clandestine

La situation des candidats à l’émigration a un aspect poignant. Ils ne sont pas, tout au moins quand ils en parlent, des gens qui décident en toute confiance de quitter leur pays pour améliorer leurs conditions de vie, ou leur situation sociale. Ils sont des individus qui se sentent poussés vers l’Étranger par une situation qu’ils assimilent à une mort sociale. Cette situation de désespoir donne naissance à des cas extrêmes. Que ce soit les pêcheurs désespérés à cause des ressources halieutiques inexistants, ou les gens de l’intérieur du pays dont l’espoir démesuré placé dans l’alternance politique s’est évanoui, le problème semble existentiel. Leur dénominateur commun demeure un écartèlement entre un statut social très critique et la vulnérabilité du revenu de leur famille[5].
A l’issue des enquêtes menées par les journalistes, présents sur les points de départ et d’arrivées des clandestins, un nombre important de termes est mis à jour, qui donne une idée de la mentalité de ces jeunes. Certains codes et slogans reviennent souvent comme, par exemple, «mbeuk ma ». Cela veut dire littéralement en wolof « donne moi un coup de tête ». Avec l’usage, cette expression indique aussi l’idée de resquiller, de frauder. En l’occurrence, il signifie dans ce contexte-ci « embarque moi ». Quand on dit « mbeuk mi », au Sénégal, on parle de l’émigration clandestine. Le slogan le plus connu et le plus frappant de violence et de détermination est sûrement barça wala barzakh[6]. Face à une pauvreté « inacceptable », les candidats pour l’émigration clandestine décrètent que la solution est partir à barça (Barcelone), ou rejoindre l’Au-delà (barzakh), autrement dit arriver à destination ou mourir en chemin. Barzakh est le terme arabe pour désigner la vie après la mort, « c'est l'au-delà, (il) évoque traditionnellement l'endroit où se trouve les morts »[7]. Il y a un fort poids politique derrière les revendications des candidats à l’émigration. Ce discours montre leur degré de désespérance, mais aussi donne une indication sur leur état mental. Leur discours résume la conviction qu’il faut à tout prix se rendre en Europe, quel que soit le risque[8]. La logique implacablement simpliste d’un «cri » comme barça wala barzakh semble être l’expression de longues années de souffrance et de désillusion. L’état d’esprit des candidats à l’émigration clandestine semble s’inscrire au delà de l’apitoiement et de la souffrance. Il s’exprime par une rhétorique guerrière et détachée, confinée en une dualité entre la vie et la mort. Comme le souligne Jeanne Dromatouré, correspondante particulière de Le monde[9], la question est, pour les clandestins dem mba dé (partir ou mourir). Son confrère, Marc Thibodeau[10] rapporte d’un entretien qu’il a eu avec un garçon de treize ans, dans un camp de rétention en Espagne, un écho alarmant et édifiant. A la question : as-tu « eu peur de mourir? », celui-ci répond non. On peut penser, comme le dit le psychologue Ousmane Ndiaye[11], qu’on est en face à d’individus qui banalisent la mort, semblent avoir atteint le seuil de la souffrance et de la désillusion suprême. En même temps, comme le résume Pape Demba Fall[12], expert en analyse des flux migratoires, autant « les candidats à l’immigration clandestine peuvent être perçus comme des individus désespérés » autant on peut imaginer qu’il s’agisse « de personnes pleines d’espoir ». Cette spécificité ne caractérise pas seulement ceux qui ne sont pas encore partis. La grande majorité de ceux qui ont été rapatriés d’Espagne tiennent ce même discours. Moussa Dieng Kala[13], réalisateur sénégalais, auteur d’un film sur le phénomène de l’émigration clandestine pour lequel il a rencontré des sénégalais rapatriés d’Espagne, rapporte aussi que ceux qui prennent les pirogues se considèrent déjà comme morts. A la question « est-vous conscient qu’en affrontant le large dans des pirogues vous vous suicidez », ils lui retournent la question en ces termes « Comment des personnes déjà mortes peuvent-elles se suicider? »
Le message des candidats refoulés par les autorités espagnoles grâce notamment à l’aide du gouvernement sénégalais (des officiers de police sénégalais ayant participé à leur reconnaissance), est un discours revanchard et toujours aussi déterminé malgré le fait qu’ils aient pu poser un regard concret sur la réalité du voyage. Un journaliste de IRIN News[14], dans un article publié le 8 Septembre 2006[15], rapporte une réaction récurrente des rapatriés : « Rien ne peut nous arrêter ! » Le discours des rapatriés s’illustre aussi par une autre expression très familière. Avion dem, gal costé, cela veut dire : un avion décolle, une pirogue accoste. Quand le rapatriement des clandestins a commencé. Un chassé-croisé s’était établi. En effet pendant que des avions quittaient l’Espagne pour le Sénégal, des pirogues arrivaient aux côtes espagnoles. Le 20 septembre[16] « au moment où 3 vols charters atterrissaient à l’aéroport de Saint-Louis avec à leur bord 179 clandestins sénégalais rapatriés d’Espagne, 172 émigrés subsahariens accostaient avec leur pirogue à l’archipel des Canaries ». Les rapatriés veulent ainsi dire que rien n’arrêtera le flux migratoire, et qu’eux-mêmes repartiront dès que l’occasion se représentera. Cet adage, Avion dem, gal costé, est bien ancrée dans la culture sénégalaise, elle est calquée sur bateau dem, bateau costé[17]. Cette expression, comme barça wala barzakh d’ailleurs, montre quelque chose qui s’apparente à la limite à de la raillerie. Ce genre de discours est très courant dans le parler populaire sénégalais actuel et surprend les expatriés sénégalais, quand ils reviennent au pays. En effet, ce fait de recourir à l’humour quand on manque de mots pour qualifier le tragique a été couramment évoqué.
Parmi les « rescapés de la mort », il y a certes les moins aguerris, qui disent ne plus avoir envie d’embarquer de nouveau dans les pirogues pour repartir, mais force est de constater qu’ils sont peu nombreux comparés à ceux qui n’ont qu’une hâte : retenter l’aventure dès qu’une nouvelle chance se profile. Selon le psychologue Ousmane Ndiaye[18], si la mort en tant que telle n’est plus un argument suffisant pour arrêter les candidats à l’émigration, l’autre fait important, est le caractère tangible des infrastructures et autres réalisations des émigrés, « c’est du concret que l’on peut voir tous les jours ».

2.              Un phénomène sans précédent

L’arrivée des candidats à l’émigration sur les côtes espagnoles a connu une certaine dimension au début de l’année 2006 et a pris, au fur et à mesure, une ampleur grandissant jusqu’à atteindre des proportions jamais égalées et tout à fait incontrôlables. Le président de la Fédération des Dahiras Mourides des Iles Canaries, El hadj Abdou Ndiaye, indique qu’ « il […] venait (au paravent) une à deux pirogues par an » ce qui leur permettait d’arranger la situation avec leurs relations « mais ce qu’ […] (il) a vu arriver (cette année-ci) […] dépasse l'entendement [19]. »
L’organe de presse espagnol Apanews[20] a rappelé « que quelque 721 immigrants clandestins ‘’seulement’’, étaient arrivés au cours du mois de janvier ». Ils étaient 1112 migrants en février. Ce chiffre est passé à 2129 clandestins en mars pour descendre exceptionnellement à 692 en avril, à cause notamment de la détérioration des conditions climatiques. Pour le mois de mai, le total qui a été enregistré est de 4918 immigrants illégaux contre 1438 en juin et 2446 en juillet. « Entre le 11 et le 19 mai, plus de 2 300 sans-papiers sont arrivés à l'archipel des Canaries à bord de 32 embarcations de fortune parties des côtes mauritaniennes, mais surtout sénégalaises[21]
Le 8 septembre 2006 la Croix-Rouge espagnole estimait, selon l’organe de presse IrinNews[22], à 20000 le nombre d’immigrants clandestins originaires pour la plupart d’Afrique de l’Ouest ayant débarqué sur les côtes des îles Canaries, dans l’espoir d’être transférés en Espagne continentale, depuis le début de l’année 2006. Les mêmes sources estiment que près de 1000 se seraient noyés pendant la traversée.
L’agence Apanews[23] fait état de « 25871 immigrants, en majorité subsahariens, […] arrivés aux Iles Canaries depuis le début de l’année, dont 14.884 à l’île de Tenerife, 4444 à Gran Canaria, 3042 à la Gomera, 1679 à El Hierro, 1573 à Fuerteventura et 249 à Lanzarote ». L’organe de presse Jeune Afrique relayant l’agence AFP[24] fait aussi état, le 3 octobre, d’un nombre de clandestins supérieur à 25000 clandestins, composés en très grande majorité d’Ouest-Africains, qui ont débarqué sur l'archipel espagnol des Canaries. Quant à l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM), elle estime, si on prend en compte l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, à plus de 27000 le nombre de migrants qui ont débarqué sur l’archipel espagnol de Canaries. Il faut noter que sur « 25.871 sans-papiers, 900 sont des mineurs[25]. »
L’Espagne est donc le pays le plus touché à cause de sa position géographique qui en fait « la tête de pont de l’Europe[26] ». Mis à part les Canaries, les autres points d’accès des émigrants clandestins en Europe sont les côtes de Sicile (sud de l’Italie). La capitale italienne, Rome, a comptabilisé depuis le début de l’année plus de 16000 clandestins interceptés sur ses côtes[27].

3.              La traversée

     3.1 . Du désert à la mer

Au début du mouvement clandestin, les candidats passaient par le désert du Sahara. Des milliers d’africains ont traversé le désert pour embarquer, une fois au Maroc ou en Mauritanie à bord de bateaux à destination de la France et de l’Italie[28]. La traversée par le continent est assez difficile. C’est « depuis qu’il n’est plus possible d’embarquer à partir des côtes marocaines […] que les candidats à l’émigration sont amenés à trouver d’autres modes de déplacement » sans passer par ces côtes-là. Cette première étape, par le désert, a vu 4000 clandestins arriver au Maroc entre 1997 et 2004[29].
Quand les « nouvelles routes maritimes » furent découvertes par les pêcheurs, les candidats à l’émigration ont alors décidé de partir des côtes sénégalaises (Kolda ou St louis), gambiennes et guinéennes[30]. L’impact de la nouvelle vague d’émigration par la mer vient du fait que la nouvelle route par les pirogues ne s’est popularisée que quand la barrière du Sahara est devenue infranchissable. La nouvelle vague a commencé donc au début de l’année 2006 avec les pêcheurs sénégalais qui, face à la raréfaction du poisson ont été obligés d’aller de plus en plus loin pour avoir de bonnes prises. La traversée peut prendre cinq à vingt jours[31]. Les candidats à l’émigration clandestine ont dû, à plusieurs reprises changer leurs principaux points de départ à cause de la surveillance aérienne mise en place par les autorités européennes et les forces de sécurité locales.

           3.2. Les conditions du voyage

Les candidats à l’émigration partaient par le biais de ce que les lébous appellent « galou-marée ». Il s’agit de type de pirogue que prenaient les pêcheurs quand ils devaient séjourner très loin des côtes.
Confectionné avec des planches de "bois rouge" assemblées autour d'une coque taillée dans un tronc entier, un galou-marée coûte environ 7500 euros, auxquels il faut ajouter le prix de deux moteurs hors-bord, dont un de 40 CV, soit environ 3500 euros. Avec 11000 euros, il est possible d'affréter un charter sans retour qui pourra rapporter à son armateur jusqu'à dix fois plus[32].
Très vite, une véritable industrie se construisit autour de cette aventure. Un réseau de passeurs qui dépasse largement le cadre des pêcheurs de profession se mit à s’organiser. Aux pirogues de pêche qui partaient, à l’origine pour rejoindre les côtes des Canaries, succèdent des embarcations plus solides. Il s’agit de «nouveaux moyens de transport, les "Cayucos", des pirogues de pêche plus robustes, fabriquées en fibre de verre, et pouvant transporter de 50 à 100 personnes selon les dimensions de l’embarcation et pouvant parfois dépasser les 30 mètres[33]
La reconversion du cayuco en « navire» de transport de voyageurs signe donc l’acte de naissance d’un véritable réseau de pêcheurs passeurs. Un filon qui a fait exploser le transport maritime clandestin trans-atlantique. Et pour cause, la « croisière » est proposée entre 500 et 900 euros, en fonction de la provenance mais surtout selon la règle de l’offre et de la demande. « Plus il y a des cayucos en partance sur les îles Canaries, moindre sera le prix et vice versa ». « Au commencement, cette embarcation (qui) symbolisait la liberté, voire la délivrance, pour ces jeunes Africains en quête de cieux plus cléments[34]» devint leur pire « cauchemar ». Les candidats qui échappent à la mort gardent généralement des séquelles psychologiques graves. Les rescapés décrivent la traversée comme un calvaire[35]. Leur souffrance est due au froid, à la faim, à la fatigue et au manque d’eau qui les contraint à boire l'eau de mer. Les médecins qui ont suivi des rescapés parlent d’ « un état dépressif » marqué par des « hallucinations » et d’un vécu cauchemardesque qui nécessite une prise en charge psychologique[36]. Des sources de la chaîne française France2 rapportent que, d’après des témoignages de rescapés, des personnes ont été jetées par-dessus bord parce qu’elles voulaient rembourser chemin, leur agitation risquant de faire chavirer l’embarcation. Il faut noter que la tension était forte dans les embarcations, et les disputes fréquentes. Beaucoup des candidats ne se connaissent et ne pouvaient pas toujours communiquer ne parlant pas la même langue. A ces conditions s’ajoutent la promiscuité dans les pirogues, ainsi que le fait de devoir dormir assis la nuit et supporter les « brûlures graves causées par le soleil d’aplomb » le jour. Les conditions rudimentaires du voyage ou le fait de vouloir contourner les dispositifs de surveillance ont fait que de beaucoup d’embarcations ont perdu le cap et se sont retrouvées entraînées à des « semaines de divagation en haute mer ». Des rescapés racontent que les conditions psychologiques de ces « voyage (s) de la terreur » sont si fortes que « des jeunes désarçonnés […] ont plongé d’eux-mêmes dans les flots[37]

           3.3. Les victimes

Au tout début de l’année 2006, les autorités brésiliennes ont informé le gouvernement sénégalais d’une pirogue en dérive repérée par la marine brésilienne avec à bord des cadavres. Il s’agissait de corps d’individus morts de faim, après que les courants marins aient détourné leur pirogue. Cette découverte macabre n’a pas été mise sur le compte des victimes de l’émigration clandestine car il a eu lieu bien avant la grosse déferlante qui allaient commercer quelques mois plus tard. Parmi les cas de perte en vies humaines, les rescapés parlent de ceux qui sont tombés gravement malades, ceux qui ont dû être jetés par-dessus bord après leur décès mais il y aussi les noyades, de même que les pirogues qui ont chaviré[38].
Le 13 décembre 2006, plus de trois mois après la grosse vague de « l’odyssée » des cayucos, il est encore question de pirogues et de morts. Une pirogue a accosté à Yoff, une côte sénégalaise. Les candidats malheureux et mal préparés qu’il transportait ont dû faire face aux forces de l’agence de surveillance Frontex et à une nouvelle composante de la traversée, «les rigueurs de l’hiver combiné avec le vent fort». Une fois à terre, les rescapés habillés légèrement «grelottaient (encore) à cause du froid». Deux d’entre eux ont rendu l’âme sur la plage. Ceux parmi eux qui réussissaient encore à parler ont expliqué qu’ils ont dû jeter par dessus bords plus de «21 personnes » qui ont perdu la vie, « pour ne pas encombrer davantage » l’embarcation[39].
Il n’existe pas encore de réelle volonté de connaître le nombre des naufragés. Il faudra du temps avant que les familles restées au Sénégal se décident à accepter, après de longs mois de silence, que leurs fils partis ont péri. Le gouvernement ne souhaite pas encore faire une enquête pour connaître réellement le nombre de candidats morts lors des traversées. Les conditions obscures et difficiles des traversées en pirogues vont sûrement rendre difficile la mise en place d’un décompte. Les autorités espagnoles[40] affirment avoir repêché au large des Canaries plus de 500 corps. Si on fait une estimation depuis l’année 2000 « plus de 50 000 Sénégalais, Gambiens, Guinéens, Mauritaniens, […] (ont risqué leur vie) sur cette barque de pêcheur depuis l’année 2000 ». Au moins 1500 parmi ceux-ci y sont restés. Bien qu’aucun bilan réel ne soit établi sur le nombre de naufrages en haute mer depuis le début de l’aventure des africains, au moins 50 cayucos auraient coulé depuis mai 2006. Quant à la police espagnole, elle a estimé vers la fin de l’année le nombre de clandestins flottants sans vie en mer à plus de 1500[41].

4.              Les réactions au Sénégal

           4.1. Les mesures gouvernementales : la répression

La nature extra ordinaire du phénomène a suscité au niveau du gouvernement sénégalais des dispositions spécifiques. En effet, le gouvernement sénégalais, par la voix du ministre Aliou Sow, a fortement condamné ce phénomène qu’il qualifie d’«opération aventurière» par rapport aux dangers et aux incertitudes qu’il comporte, mais aussi d’actes relevant « d'esclavagisme »[42], en référence aux passeurs qui organisent le trafic. Hawa Bousso[43], journaliste de l’organe de presse L’As, rapporte que la « traque déclenchée par la gendarmerie » a conduit à l’arrestation de « 450 clandestins et 30 passeurs […] en deux mois ». Le 13 septembre 2006, l’organe de presse Nettali[44] notait que près de 200 « jeunes gens, âgés entre 20 et 35 ans, venus des quatre coins du Sénégal, mais aussi de la Guinée et de la Gambie comparaissaient devant le tribunal pour répondre du délit de tentative d’émigration clandestine » devant le tribunal des flagrants délits.
En quelques semaines, 2000 immigrés clandestins africains et 80 passeurs ont été arrêtés[45]. Après cette période de tâtonnements et d’improvisations au début de l’émigration clandestine, la justice (ou les politiques) se montra plus clémente envers les candidats arrêtés. Seuls les passeurs étaient inquiétés. Toutefois, le 16 décembre 2006[46], quand la police empêcha deux départs de pirogues vers l’Espagne, les candidats au voyage ainsi que les passeurs furent déférés au parquet et pourraient être condamnés.

           4.2. Un plan social

A côté de ces mesures draconiennes, le gouvernement annonce la mise au point du plan REVA (Retour -Volontaire- Vers l’Agriculture). Selon le gouvernement sénégalais[47], ce plan n’est pas une réponse ponctuelle mise en place uniquement pour mettre un terme à l'émigration clandestine. Il fait partie d’actes prioritaires établis dans le cadre de l’insertion globale de la jeunesse du Sénégal. Le plan REVA participe assurément à ré intéresser les jeunes à l’agriculture, à revitaliser et à revaloriser cette activité, si durement touchée. Sa démarche rappelle assez celle de l’ex président ivoirien feu Félix Ouphouet Boigny. Celui-ci avait réussi à rehausser l’image de l’agriculture et à pousser les ivoiriens à mieux aimer cette activité. Le président Boigny était lui-même cultivateur et originaire de régions paysannes. C’est de cette façon qu’il a réussi son projet, en faisant entretenir et en se présentant de façon active et effective dans des champs qui lui était propres. Ce n’est pas le cas du président Wade.

           4.3. Des mesures conjointes

Face à l’ampleur du mouvement de l’émigration clandestine, ce qui ressemblait fort à des mesures politiques prises par le gouvernement sénégalais pour ne pas donner aux dirigeants espagnols, l’air de cautionner le phénomène, montra très vite ses limites. Le Sénégal dut accepter de collaborer avec l’Espagne pour trouver une façon plus effective d’endiguer le mouvement. Cette collaboration a mené l’état sénégalais à autoriser la structure européenne Frontex à participer aux opérations de surveillance de son littoral[48]. Frontex est un dispositif logistique et militaire dont l’objectif est de surveiller les côtes et de barrer la route aux clandestins[49]. Ces mesures de surveillance s’articulent autour de plusieurs axes comme la mise en place d’enquêtes policières pour démanteler des réseaux de passeurs et prévenir les départs. Frontex intervient aussi dans l’interception de pirogues en mer, leur prise en charge et leur acheminement vers les côtes dont elles sont les plus proches pour les confier aux gouvernements intéressés. L’accord signé entre le Sénégal et l’Espagne prévoit aussi, la collaboration du Sénégal en matière de reconnaissance des émigrés clandestins[50] et leur accueil, dans le cadre du rapatriement des clandestins.
En contrepartie, le gouvernement espagnol s’est engagé à aider le gouvernement sénégalais à créer des structures, pour retenir les candidats à l’émigration. Il a ainsi « allou(é) une ligne de crédit de 20 millions d'euros »[51]. L’Espagne n’est pas le seul pays à avoir signé un accord avec le gouvernement sénégalais pour gérer le flux migratoire, la France a aussi signé, le 23 Septembre, un accord finalisé à l'issue de la visite de quelques heures effectuées dans la capitale sénégalaise par le ministre français de l'Intérieur Nicolas Sarkozy[52]. Cet accord, à forte portée politique et stratégique sur le terrain de la lutte contre l’émigration, à quelques mois des élections présidentielles en France, sera qualifié d’ « accord historique» par le ministre français de l’intérieur.

           4.4. Les rapatriements

Les rapatriements des émigrés clandestins ont commencé le 14 septembre 2006 et ont sans cesse redoublé d’intensité. Ils se sont fait à un rythme moyen de dix vols par semaine, les lundis, mercredis et vendredis. Ces opérations qui ont lieu à quatre mois de la date prévue des élections législatives et présidentielles alimentent un débat croissant dans le pays. La colère des refoulés est devenue cause nationale. Le 30 septembre, le nombre de vols est passé de trois à quatre par jour[53]. Déjà au 6 Octobre 2006, le nombre de sénégalais rapatriés en 35 vols, depuis le début de l'opération, remontait à 2027 dont 2 femmes[54]. Les rapatriements ont été officiellement bouclés le 25 octobre 2006. 4681 jeunes ont été convoyés de l’Espagne à l’aéroport international Dakar-Bango de Saint-Louis, cité portuaire du nord du pays, à 264 km au nord de Dakar. Il y eu au total[55] 63 vols affrétés par les autorités espagnoles et sénégalaises. Parmi les 4681 jeunes rapatriés, 900 jeunes ont pu échapper aux opérations. Marc Thibodeau[56] de l’agence Cyberpresse souligne la présence parmi les clandestins de plus de 700 mineurs «à partir de 13 ans ». Pour Panapress[57], il est question de 900. N’étant pas encore majeurs, ils ne peuvent être rapatriés, même à l’issue de la durée légale de 45 jours dans les camps de détention. Un membre du Comité National de Gestion des Personnes Rapatriées et Déplacées a confié à l’agence AFP[58]que la possibilité d’un rapatriement d’autres clandestins n’est pas à écarter, si l’on sait que les pirogues continuent à prendre le large.

5.              L’impact de l’émigration clandestine

           5.1. Au Sénégal

                       5.1.1. Le poids social de l’émigration clandestine

Devant la gravité de la situation (les difficultés de la traversée, le nombre de morts et la politique du gouvernement), un collectif (Collectif des Femmes pour la Lutte contre l’Emigration Clandestine) est né. Il est composé essentiellement de 350 mères de victimes et de disparus en mer. Leur objectif est de sensibiliser les autres femmes des dangers de l’entreprise pour qu’elles dissuadent leurs enfants de partir.
Le drame des disparus laissent certains villages dans la consternation, la désillusion et le doute. C’est le cas de Thiaroye-sur-mer. La question «sont-ils morts ou en vie ?» revient en boucle dans les esprits. Il s’y ajoute ce que le psychosociologue Ousmane Ndiaye[59] appelle « le déni ». Le refus, à la faveur du flou qui entoure la disparition, «d’accepter que l’être qu’on aime et qu’on a envoyé en mission - pour revenir soutenir la famille » soit mort. Dans ces types de village où tout « le monde se connaît, le décès d’un individu prend une plus grande ampleur. Quand il s’agit de plus de deux cent morts connus et presque autant ou plus de disparus», une psychose s’installe. Talla Niang, secrétaire général du Foyer des Jeunes de Thiaroye-sur-mer rappelle que « presque toutes les mamans connaissent le même sort, car aucune maison n’est épargnée par la tragédie de l’émigration clandestine». Pour Ousmane Ndiaye, qui s’est penché sur le drame, « quand au bord d’une pirogue on assiste à la mort de proches sans pouvoir rien faire, avec d’autres atrocités rencontrées au cours de ce long et pénible voyage, il y a de véritables risques (de désordres mentaux) […] (pour) l’homme dont l’équilibre psychique n’est pas solide». Par ailleurs, le mythe qui entoure la mer dans la culture sénégalaise n’est pas pour arranger les choses. D’après le psychosociologue, les candidats à l’émigration se considèrent comme des morts vivants en restant dans leur pays. La question qu’il pose est comment faire pour réanimer un mort vivant?

                       5.1.2. Le Poids politique de la nouvelle vague

La revendication des candidats à l’émigration a une forte dimension politique. Moussa Dieng Kala rapporte les mots des candidats déchus de l’émigration auxquels il donne un écho dans son film Et si Dieu avait oublié l'Afrique :
 Soit les Etats africains en général les aident à trouver un emploi, ou les aide dans leurs initiatives (les petits commerces, par exemple), ou bien qu'ils les laissent partir. Ce que ces jeunes disent c'est "qu'on ne nous donne pas du travail et on nous empêche de travailler, parce que la plupart d'entre nous est poursuivi par les taxes municipales (ils gagnent 1000 à 1500 fcfa par jour en vendant à la sauvette) etc., ensuite ils veulent nous empêcher de partir! Pendant ce temps qu'est ce qui se passe? Leurs femmes (des hommes politiques) accouchent à l'extérieur, leurs enfants étudient à l'extérieur, ils vont et viennent comme bon leur semble et ils veulent nous retenir dans ce pays. Nous des humains comme eux. N'avons-nous pas le droit d'aller et de venir comme eux, de circuler dans le monde? [60]
Les candidats à l’émigration pointent ainsi du doigt « la poignée de dirigeants qui circule à bord de voitures de luxe, habite dans des maisons cossues », dans un pays qu'on dit pauvre. Ils acceptent volontiers qu'un député ou un ministre puissent avoir «une voiture 4x4, une belle maison, ou un bureau climatisé ». Mais ils estiment que « ce luxe provenant des biens du peuple, ces dirigeants ne deviennent ni plus ni moins que des voleurs (,) s’ils ne font pas leur devoir pour (le) mériter […] ». Quant aux jeunes pêcheurs, originaires des villages du littoral, comme Yarakh (un village de pêcheurs à Dakar), les jeunes qui n’ont jamais vécu que de ressources générées par la mer accusent, eux, la pénurie du poisson causée par les passages des chalutiers. « Tous nos poissons ont été pillés par les gros bateaux. Alors ils (les européens) ont emporté les poissons et nous suivons les poissons. Nous allons chez eux. S'ils ne veulent plus nous voir chez eux, qu'ils ramènent nos poissons[61]! »

                       5.1.3. La mobilisation

Face au drame de l’émigration clandestine, le gouvernement n’est pas le seul à se mobiliser pour trouver des solutions. En effet, à côté des autorités politiques, la société civile, religieuse, les Organisations Non Gouvernementales, les associations, etc. se sont aussi mobilisées. Cette mobilisation participe à apaiser les mouvements d’humeur et les protestations enregistrés dans beaucoup de localités. A Mbour[62], des manifestants plus remontés encore contre le gouvernement voulaient savoir « simplement pourquoi le Chef de l’Etat a pris la décision de […] (les) rapatrier là où les autres africains ne l’ont pas été ». Il faut signaler toutefois signaler que le Sénégal n’est pas le seul à avoir signé des accords avec l’Espagne. La Gambie[63] et la Guinée ont aussi cédé à cette «offensive diplomatique (espagnole) en Afrique Occidentale». L’émeute qui a eu lieu à l’aéroport de Banjul (Gambie), où un groupe de 144 Gambiens rapatriés d'Espagne se sont livrés à des scènes d'émeute à leur arrivée à l'aéroport de Banjul, «brisant vitres, fauteuils et matériels de climatisation», indique bien cette situation.
Dans le cadre de la mobilisation nationale contre l’émigration, des réactions sont venues aussi des hommes de lettres et d’arts. Les musiciens, qui représentent de puissants canaux de vulgarisation s’y sont mis. Il ne s’agit pas seulement du mouvement hip hop qui fait de la situation des jeunes son credo, les auteurs d’autres genres musicaux moins sensibles participent aussi à la vulgarisation. La bande dessinée Emigration clandestine, l’aventure mortelle crée par la Fondation Konrad Adenauer, l’Association Sénégalaise de Coopération Décentralisée et l’Institut Sénégalais d’Etude et d’Action pour le Développement de l’Education, est diffusée dans les collèges et lycées sénégalais. Son objectif est de sensibiliser les jeunes aux risques de l’émigration clandestine et de leur montrer qu’un autre avenir est possible dans leur pays[64]. D’autres hommes de culture montent aussi au créneau, comme le réalisateur Moussa Dieng Kala[65]. Il exprime sa surprise pour le regain d’intérêt que le gouvernement affiche pour l’agriculture alors qu’au moment où il le faisait 80% des cultivateurs de métier rencontraient d’énormes difficultés. Il met le doigt sur le problème que vont rencontrer « ceux qui ne savent pas comment tenir un hilaire ». Sur le plan psychologique, il rappelle que « pour faire un métier, il faut l'aimer ».
Des partenaires espagnoles ont pris une part négligeable dans ces mouvements de réactions nés au niveau de la population. Des prises de positions fortes et courageuses, qui transcendent les pesanteurs politiques se sont affirmées. La vice-présidente de la fondation Cear[66] d’Espagne, Maria Jesus Arsuaga Lasa, a notamment défendu le droit, en ce qui concerne les accords de pêche, du Sénégal de demander non seulement plus d’argent, mais aussi et surtout la création de sociétés mixtes pour permettre à ces fils de travailler, et d’exiger le débarquement d’une partie des prises dans le pays[67]. L’engouement né du drame de l’émigration clandestine ne s’arrête pas à la façon de trouver des solutions pour gérer le problème des rapatriés et de ceux qui ont en envie de partir. Des organismes se mobilisent aussi pour avoir un œil sur l'utilisation des fonds de contrepartie alloués par l'Espagne au Sénégal.

                       5.1.4. L’impact de l’émigration clandestine en Europe

Compte tenu des facilités d’accès vers l’intérieur de l’Europe créées, notamment avec la mise en place de L’UE, l’Union européenne s’est intéressé au problème et a mis la main à la poche. D’après Louis Michel, « ce programme déjà en préparation, pourra être porté de 13 milliards de FCFA à près de 18 milliards de FCFA[68] ». Par contre, si les pays de l’Union Européen sont d’accord pour maîtriser le flux migratoire, ils restent divisés sur la méthode à suivre, tout au moins au niveau des mesures politiques. Le 29 Septembre 2006[69], les ministres des Affaires Etrangères et de l’Intérieur de huit pays européens se sont réunis à Madrid pour définir une réforme de la politique d’immigration. Le Premier Ministre espagnol a prôné «plus de solidarité», tandis que le ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, proposait un projet radical, avec la fusion des politiques nationales en matière d’immigration, il propose « la stricte limitation des mesures de régularisation à des situations humanitaires au cas par cas ; le respect du principe de proportionnalité entre le flux migratoire et les capacités d’accueil sur le marché du travail, le logement, les services publics».
Les remous provoqués par l’émigration clandestine se ressentent aussi à l’intérieur de l’Espagne au niveau de la population. 300 immigrés sénégalais se sont rebellés contre une demi-douzaine de policiers sénégalais venus de Dakar pour les identifier[70]. Le « vent de tragédie » ne s’arrête pas dans les camps de rapatriés. L’arrivée des clandestins met mal à l’aise les émigrés régulièrement établis en Espagne vis-à-vis des espagnols[71]. En effet, les 60000 immigrés sénégalais installés en Espagne avant la vague des émigrés, ne se sont pas montrés favorables aux arrivées massives de clandestins. Il y a deux raisons à cette attitude. Ces immigrés sénégalais réguliers «sont condamnés […] à vivre sous l’œil inquisiteur de la majorité des espagnols. De plus, 30000 d’entre eux, qui n’ont pas encore les papiers et sont installés bien avant l’arrivée des « cayucos » risquent de perdre définitivement la chance d’en avoir. Les « deux grands partis politiques espagnols ont promis de ne plus procéder à la régularisation d’émigrés clandestins[72]». Selon, El Hadj Ngaido, président de l'Association des Sénégalais de Tenerife, « même si les Espagnols sont patients, la solution qui s'impose est de rapatrier ceux qui viennent[73].» Les accords que l’Espagne a conclus avec les autorités des pays voisins du Sénégal (Gambie et la Guinée Bissau) dont les côtes sont de nouveaux points de départ pour les migrants irréguliers, montrent que l’émigration est utilisée comme « un instrument de négociation politique» par les chefs d’état africains. Ces derniers menacent les dirigeants des pays européens de ne « rien faire pour arrêter l’exode » si ceux-ci ne les aident pas. Comme l’explique M. De Boeck de l’OIM[74], «en définitive, les […] (les hommes d’états) africains gagnent sur tous les plans […]. Ils ne voient pas d’un mauvais œil le fait que des milliers de jeunes sans emploi cherchent à quitter le pays, et maintenant ils négocient une augmentation de l’aide au développement ».  
A l’issue de la grande aventure humaine que constitue « la marée noire », l’idée est émise qu’au bout du compte, malgré le prix en vie humaine, et en moyens financiers déployés par les candidats, cette aventure pourrait être bénéfique en ce qu’elle oblige les pays européens à aider les pays de départ. Il faut toutefois se demander si l’Afrique doit payer un si lourd tribut pour qu’on lui tende la main. Au niveau des responsables de pays africains, le représentant régional de OIM, rappelle que « très peu de mesures sont prises pour arrêter l’émigration irrégulière parce qu’elle génère bien plus de fonds que l’aide au développement». Il faut dire que les gouvernement des pays africains comme le Sénégal ont été obligés de faire face à cette émigration et à prendre des mesures car ils n’ont pas eu le choix face à un flux si colossal et face aux fortes pressions de pays européens.
Mais une autre question est que la jeunesse et la détermination inouïe des candidats à l’émigration clandestine est une force motrice capable de faire décoller n’importe quel pays. L’état sénégalais a-t-il échoué à donner de l’ouvrage aux jeunes pour qu’il se tourne ainsi vers l’extérieur ? Doit-on tout attendre de l’état ? Même si les candidats à l’émigration clandestine ne sont pas riches, ils ont été capables de réunir l’équivalent d’une somme suffisante pour démarrer une petite entreprise. D’autre ont vendu leurs petites entreprises pour payer leur place sur des pirogues de fortune. Alors d’où vient le problème ? S’agit d’une absence d’espoir, de confiance au système politique ou une idéalisation de l’Occident ? Sept ans plus tard, une solution radicale n’est pas arrivée, les populations se plaignent toujours ? L’émigration clandestine s’est calmée. Mais à quand la prochaine vague ?
S’agit-il d’un état d’esprit fini né de la certitude que rien de bon ne peut arriver dans un pays africain aux conditions de vie difficile? Cette force motrice et cette détermination à tout épreuve ne peut-elle pas servir de tremplin pour reconstruite les pays africains au sien desquels ces jeunes souffrent? Ou alors s’agit-il d’une énergie exclusivement nourrie par le mirage de l’Occident? En tout cas, ce triste épisode de l’histoire récente de l’Afrique de l’ouest notamment du Sénégal nous offre des images qui restent gravés dans l’esprit des populations.



[1] LA PRESSE. « Tunisie : Emigration clandestine - Un naufrage de trop ».  Coordination-Maree-Noire (Tunis) [consulté le 12 Décembre 2013. Disponible sur : http://coordination-maree-noire.eu/spip.php?article18105
 
[2] IDA HASSAN, S. « La "route" des pirogues découverte en 2004 ». Apanews [en ligne]. 13 Juin 2006, [consulté le 10 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/3792.php

[3] MBAYE, M. « Moussa dieng kala, réalisateur d'un film sur l'émigration clandestine:” Les jeunes candidats au voyage me disent qu'ils sont déjà morts...”». Le Matin [en ligne]. 23 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5570.php

[4] Ibid.

[5] MANDEKOR, D., A. « N’djamena: Vendeur de la rue, longue marche vers la survie ». www.tchadeco.com. [en ligne]. 04 avril 2006. [consulté le 21 juin 2006]. Disponible sur http://www.tchadeco.com/html/traits_de_societe.html

[6] DIOP, B.  « Barça ou ''barzakh'' (Barcelone ou l'enfer), le leitmotiv des partants de Thiaroye-sur-Mer ».  APS [en ligne]. 23 Mai 2006, [consulté le 25 Mai 2006]. Disponible sur http://www.seneweb.com/news/article/2675.php

[7] L'OBSERVATEUR. « Emigration clandestine : Le capitaine d'une pirogue raconte comment «Barsakh» a été aperçu ». L’observateur [en ligne]. 25 Août 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.rewmi.com/index.php?action=article&id_article=288386
 
[8] IRIN News. « Sénégal: Mythe et réalité de l'immigration clandestine ». IRIN News [en ligne].1 Novembre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6410.php

[9] DROMATOURE, J. 20 juin 2006.

[10] THIBODEAU, M. « Traversées vers les canaries - les orphelins des cayucos ». La Presse/ Cyberpresse.ca [en ligne]. 6 Octobre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5895.php

[11] DIOP, G. « Émigration Clandestine : Thiaroye entre deuil et espoir ». Nouvel Horizon [en ligne]. 10 Novembre 2006, [consulté le 10 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6576.php

[12] IRIN News. 1 Novembre 2006.

[13] MBAYE, M. 23 Septembre 2006.

[14] Integrated Regional Information Networks
[15] IRIN News-a: Sénégal: Rien ne peut nous arrêter ! IrinNews [en ligne].8 Septembre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5244.php

[16] APANEWS(Agence Africaine de Presse). « Immigration Clandestine: 25 embarcations interceptées en Espagne en 48 heures ». Apanews [en ligne]. 20 Septembre 2006, [consulté le  05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.co/news/article/5518.php

[17] WADE, I., K. « Dépêchés en Espagne pour les identifier : 300 clandestins se rebellent contre les policiers sénégalais». WalFadjri [en ligne]. 21 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5530.php
 
[18] DIOP, G. 10 Novembre 2006.

[19] MK/CTN. « Craignant d'être mis dans le même sac, les réguliers prônent le rapatriement des clandestins ». APS [en ligne]. 20 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5516.php

[20] SIH/of/APA. « Espagne-Afrique-Immigration : En septembre, chaque heure dix Africains ont débarqué aux Canaries ». Apanews [en ligne].3 Octobre 2006, [consulté le  05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5810.php

[21] WADE, I., K. 19 Juin 2006.

[22] IRIN News-a. 8 Septembre 2006.

[23] SIH/of/APA. « Espagne- Sénégal- Immigration : Plus de 5.000 sénégalais en voie de rapatriement ». Apanews [en ligne]. 21 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5546.php
 
[24] AFP (Agence France Presse). « Plus de 2.000 Sénégalais rapatriés des Canaries depuis trois semaines ». Jeune Afrique [en ligne]. 6 Octobre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5899.php
 
[25] SIH/of/APA. 21 Septembre 2006.
 
[26] GUEYE, E. « Serigne Mountaqa MBACKE, Fils de Serigne Mourtala MBACKE : ‘Wade n'est pas un vrai mouride ». WalFadjri [en ligne]. 31 Mai 2006. [consulté le 7 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/2842.php

[27] El PAIS. « Emigration clandestine en Espagne : Des passeurs convoient un millier d’Africains en Italie ». Le Soleil [en ligne]. 25 Octobre 2006, [consulté le 01 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6247.php

[28] IRIN News. 1 Novembre 2006.
  
[29] DIOP, G. 10 Novembre 2006.

[30] IRIN News-a. 8 Septembre 2006.

[31] Ibid.  

[32] LE MONDE. « Clandestins : Le journal Le Monde raconte l'odyssée d'un jeune sénégalais ». 5 octobre 2006, [consulté le 5 Novembre 2006]. Disponible sur :

[33] IDA HASSAN, S. « La "route" des pirogues découverte en 2004 ». Apanews [en ligne]. 13 Juin 2006, [consulté le 11 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/3792.php

[34] MOALI, H. « Les jeunes clandestins africains face à leur destin - Cayuco : Dakar-Tenerife classe… enfer ! » El Watan/ WebNews [en ligne]. 18 Novembre 2006, [consulté le 10 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6735.php

[35] AFP. « Le Sénégal recherche une centaine de migrants clandestins disparus en mer ». WebNews [en ligne]. 17 Décembre 2006, [consulté le 17 décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7283.php
 
[36] Ibid. p.
 
[37] TALL, E., H. « Émigration Clandestine : Saint-Louis renoue avec les voyages de la mort ». Lobservateur[en ligne].16 Décembre 2006, [consulté le 16 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7276.php

[38] NGOM, M. G. « Une pirogue de clandestins accoste a yoff hier : Deux jeunes meurent sur place et plus de 22 autres engloutis par l'océan ». Le Matin [en ligne]. 14 Décembre 2006, [consulté le 14 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7213.php

[39] Ibid.

[40] IRIN News. 1 Novembre 2006
  
[41] MOALI, H. « Les jeunes clandestins africains face à leur destin - Cayuco : Dakar-Tenerife classe… enfer ! » El Watan/ WebNews [en ligne]. 18 Novembre 2006, [consulté le 10 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6735.php

[42] LEQUOTIDIEN. « Niasse procédait à un trafic de passeports diplomatiques et de service, selon le ministre Aliou Sow ». Le quotidien [en ligne]. 21 août 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.rewmi.com/index.php?action=article&id_article=288264

[43] BOUSSO,  H. « Émigration clandestine à Guet-Ndar : 450 clandestins et 30 passeurs arrêtés par la gendarmerie en deux mois ». L’as [en ligne].    Lundi 22 Mai 2006. [consulté le 25 mai 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/2632.php

[44] NETTALI. « Près de 200 clandestins devant le tribunal des flagrants délits ». Nettali [en ligne]. 13 Septembre 2006, [consulté le O5 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5356.php

[45] DROMATOURE, J. « Dème ba dé (partir ou mourir) dit-on, ici, en wolof ». Les archives intégrales de l’humanité  [en ligne]. 20 juin 2006. [réf. 22 juin 2006]. Disponible sur : shttp://www.humanite.presse.fr/journal/2006-06-08/2006-06-08-831238

[46] TALL, E., H. « Émigration Clandestine : Saint-Louis renoue avec les voyages de la mort ». L’observateur [en ligne].16 Décembre 2006, [consulté le 16 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7276.php

[47] LEQUOTIDIEN. 21 août 2006.

[48] IRIN News. 1 Novembre 2006.

[49] LEQUOTIDIEN. «’’Frontex’’ se déploie le long des côtes sénégalaises : A la traque des clandestins en direction des Iles Canaries ». Le quotidien [en ligne]. 21 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur :

[50] SIH/of/APA. 21 Septembre 2006.
 
[51] WADE, O. « Dernier rapatriement d'Espagne : Un clandestin raconte ». Le Matin [en ligne]. 16 Septembre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5414.php
  

[52] AD/ADC. « Sénégal-France-Migration-Retour : Dakar et Paris s'entendent pour le rapatriement des clandestins ». APS [en ligne]. 23 Septembre 2006, [réf, du 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5585.php

[53] BARBIER, G. « Rapatriement de clandestins à Saint-Louis : Le nombre de vols passe de trois à quatre par jour ». WalFadjri [en ligne]. 30 Septembre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5737.php
   
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[55] LE QUOTIDIEN. « Emigration - Fin des rapatriements : 4681 jeunes convoyés de l’Espagne ». Le quotidien [en ligne]. 26 Octobre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6279.php
 
[56] THIBODEAU, M. « Traversées vers les canaries - les orphelins des cayucos ». La Presse/ Cyberpresse.ca [en ligne]. 6 Octobre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5895.php

[57] PANAPRESS. « 900 enfants mineurs venus d'Afrique sont arrivés aux Canaries ». Jeune Afrique [en ligne]. 5 Octobre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5866.php

[58] AFP. « Émigration clandestine en Espagne : Des passeurs convoient un millier d’Africains en Italie ». Soleil [en ligne]. 25 Octobre 2006, [consulté le 05 novembre]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6247.php  

[59] DIOP, G. 10 Novembre 2006

[60] DIENG, M. « Espagne / Sénégal - Zapatero redistribue l’aide promise à Wade : Destination éclatée pour les 13 milliards de francs Cfa ». LeQuotidien [en ligne]. 6 Décembre 2006, [consulté le 10 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7075.php

[61] MBAYE, M. 23 Septembre 2006.

[62] KANE, A. « Émigration clandestine : Les rapatriés Mbourois se révoltent ». Le Matin [en ligne]. 21 Octobre 2006, [consulté le  05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6193.php
 
[63] REUTERS. « Émeute à l'aéroport de Banjul de Gambiens rapatriés d'Espagne. WebNews [en ligne].1 Novembre 2006, [consulté le 6 Novembre 2006]. Disponible sur: http://www.seneweb.com/news/article/6402.php

[64] BANGRE,  H.  « Sénégal : ‘’Emigration clandestine, l’aventure mortelle’’ : Une bande dessinée pour dissuader les jeunes de risquer leur vie ». Afrik.com [en ligne]. 19 Décembre 2006, [consulté le  24 Décembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/7342.php

[65] MBAYE, M. 23 Septembre 2006

[66] Comisión Española de Ayuda al Refugiado (CEAR)

[67] DIALLO, I. « Lutte contre l’émigration clandestine : L’écoute et le dialogue avec les jeunes, une alternative ». SudQuotidien [en ligne]. 2 Novembre 2006, [consulté le 11 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6417.php

[68] KEMBA, I., S.  « Lutte contre l’émigration clandestine : L’Union européenne met la main à la poche ». Le Matin [en ligne]. 27 Octobre 2006, [consulté le 11 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/6304.php

[69] GARCIA, A. « Migrations : l’Europe divisée sur la méthode ». RFI [en ligne]. 29 Septembre 2006, [consulté le 05 novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5719.php
 
[70] WADE, I., K. « Dépêchés en Espagne pour les identifier : 300 clandestins se rebellent contre les policiers sénégalais. WalFadjri [en ligne]. 21 Septembre 2006, [consulté le 05 Novembre 2006]. Disponible sur : http://www.seneweb.com/news/article/5530.php
 
[71] MK/CTN. 20 Septembre 2006.

[72] WADE, I., K.  21 Septembre 2006.
 
[73] MK/CTN. 20 Septembre 2006.

[74] IRIN News. 1 Novembre 2006.

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