Diagnostic de l’erreur communicationnelle du Professeur Songué Diouf

« Quand le vent de la passion se lève, la lumière de la clairvoyance s’éteint, autant du côté du locuteur (celui qui parle) que du côté des auditeurs ».

Mise en contexte

Je vais tenter de poser le regard distant de l’analyste (du discours), pareil à celui qui sied au médecin qui opère une chirurgie ou une autopsie. Je laisse le rôle des jugements aux autres.
Je n’ai pas voulu choisir des titres comme L’affaire Songué, le cas Songué ou le cas du professeur Songué, car, en empruntant un terme ou une formule juridique, je le mets déjà implicitement sur le banc des accusés.
J’ai écouté l’extrait qui a fait tant de bruit, j’ai écouté la réaction du professeur. Des erreurs ont été commises.

        La bienveillance de l’auditeur

Dans sa réaction, le professeur appelle à la bienveillance de l’auditeur. C’est ce que nous enseigne la culture wolof : ba laa ngaa fell guemmign'u samm xam'al la mu'y walis. La culture religieuse nous y appelle : n’est-il pas demandé d’écouter et de prendre ce qu’il y a de meilleur dans une parole émise? Mais, moralité à part, le bon sens tout court, nous y appelle. Ne dit-on pas que de deux interprétations, je choisis la plus généreuse?

C’est ce que nous enseigne aussi l’analyse du discours. Le professeur nous demande d’élargir  le cercle d’interprétation, de ne pas sortir ses propos de leurs contextes. Tout analyste doit refuser d’analyser un propos sans tenir compte des conditions de production. Il a le devoir de tenir compte :
  • du cotexte : les mots (ethos discursif) que le professeur a émis avant ou après le fameux segment qui en a été extrait;
  • du contexte interactionnel : les mots (ethos discursif) que les autres personnes présentes sur le plateau ont émis avant et après les propos du professeur Songué. Une action ne peut se mesurer en occultant l’action.
  • de la cohérence entre les mots et les actes : Est-ce que le comportement du professeur Songué (ethos prédiscursif) son comportement physique et social coïncide avec les propos incriminés? A-t-il une histoire de propos de ce genre émis dans d’autres contextes (interdiscours).

Une analyse objective et complète ne peut se faire sans une prise en compte de ces différentes facettes. Dans les tribunaux, la procédure est la même pour exécuter, pour arrêter une analyse, une sentence.

      Et pourtant

Et pourtant, bien que le professeur Songué dise que ses mots ont été pris hors contexte, ce qui est le cas, ses propos n’ont pas été truqués. Je ne crois pas que ce passage ait été bricolé, pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit. Il l’a bel et bien dit : mot après mot. Et il ne s’est pas repris ni sur le coup, ni par la suite; ce qu’il aurait pu faire en reconnaissant les erreurs que je vais citer plus tard. Je résume ce qu’il a dit (pour éviter le sensationnel) : en cas de viol, les deux parties sont autant responsables et criminels.

Analyse


     L’impossible triangle communicationnel



Le professeur a fait une erreur d’appréciation, en simplifiant une réalité qui n’est ni simple ni résumable, et par conséquent, ne doit, en aucun moment, en aucun cas, être résumé.Le triangle de Ogden et Richards montre que le rapport entre un mot (le signifiant), son sens (le signifié), et sa réalité physique (le référant) est complexe:
  • Les lettres v-i-o-l et le son /vjɔl / sont le signifiant, autrement dit, la chose-nommant (cf. Josette Rey-Debove);
  • L’idée du viol est le signifié, c'est-à-dire la chose-nommée (cf. Alain Rey), qui sera définie comme « rapport sexuel forcé » (cf. Wordreference);
  • Le référant est la réalité physique de la chose, qui inclut les circonstances, et les conséquences dramatiques psychologiques qui ne sont pas mesurables.

     Les erreurs du professeur

Je note deux erreurs communicationnelles dans le discours du professeur (j’ose espérer que c’est une erreur de sa part).

            Erreur 1

C’est de résumer, de simplifier des réalités qui ne peuvent se superposer. Le viol est en effet multiple et se fait dans des contextes tout à fait différents. Nous avons :
  • ceux qui abusent de leur domination au travail;
  • celles qui sont violées depuis le bas âge dans leur propre maison par un proche;
  • celles qui ont eu la malchance de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment, quel que soit leur accoutrement;
  • ceux et celles qui jouent avec le feu et se font brûler.

La prudence veut qu’un communicateur public et une instance médiatique attendent d’avoir un compte-rendu sur les circonstances de faits aussi sensibles que le viol avant de s’essayer à de la théorisation ou de la généralisation.
La polémique a eu l’effet d’un grand coup médiatique pour l’émission Jakarloo, bien que je me permette de penser que cela n’a pas été le but du professeur et ni de la Tfm. Mais maintenant que l’effet médiatique a eu lieu, c’est le moment de rectifier le coup de manière formelle. C’est aussi l’occasion de lever le voile sur ce grand tabou de la société (sénégalaise).

           Erreur 2

C’est le fait de penser (cf. schéma) que l’idée du viol et l’expérience du viol sont les mêmes. Ce n’est pas le cas.  Il est essentiel de savoir que le signifié (l’idée) dépend de l’expérience qu’on en a. L’idée du viol a très peu de chose à voir avec l’expérience du viol. Le professeur Songué, qui n’est pas à la place des victimes, ne peut imaginer le ressenti physique et psychologique de celles qui l’ont vécu. Prenons un exemple : quand on entend le mot amitié, il s’agit de la même idée, mais les gens vont la percevoir selon l’expérience heureuse, malheureuse ou mitigée qu’ils en ont, celui qui ne l’a jamais vécue n’en aura qu’une idée qui est à côté de la plaque. C’est la même chose pour le mot, l’idée, l’expérience ou la réalité du mot  amour.  Le communicateur doit donc faire preuve d'empathie et de flexibilité envers ceux qui écoutent pour espérer toucher ou approcher la diversité de leurs expériences.
Certaines femmes auraient préféré mourir que de supporter à vie une cicatrice au corpus, une tache à l'âme. 
Aujourd’hui, la bête hideuse du viol se réveille et dévoile ses visages nombreux. Des femmes sacrifiées ont eu la générosité de vous faire savoir, professeur, la crevasse immense qui existe entre l’idée abstraite virtuelle du (mot) viol et l’expérience physique et mentale, ainsi que la variété de ses circonstances. Elles ont l’obligeance d’oser regarder de nouveau et décrire, le rictus hideux que le viol leur a montré avant de les frapper dans le ventre et au cœur, cette face disgracieuse qu’elles n’ont jamais cessé de sentir ni d’entendre.
Il faudrait que ces témoignages de femme qui apparaissent, même anonymes, soient faits, et consignés dans une plateforme, pour que des travailleurs sociaux s’y penchent. Et que de l'aide psychologique soit prodigué aux victimes, que des procédures de préventions se mettent en place, dans un dialogue social et franc et inclusif.



Dalla Malé Fofana PhD
Analyse du discours, communication et linguistique

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