Langue et identité: de Dumas à Soyinka, en passant par Senghor

Chers lecteurs, chères lectrices,

Je vous viens avec un coup de cœur, cette fin de semaine. J'ai récemment découvert l’excellent article de mon collègue Raphaël Adjobi :  La vie de nègre d’Alexandre Dumas.

Au fait, ma jeunesse a été bercée par la lecture. Je me suis noyé sans modération dans la littérature africaine (L’appel des arènes, L’archer Bassari, Le monde s’effondre,  L’étrange destin de Wangrin, Ségou …..).  À couper le souffle!!! La puissance de l’âme noire se trouve dans son art, mais aussi dans sa littérature: difficile de connaitre l’Afrique profondément, ''from the inside-out'', sans passer par là.
Mais j’ai commencé ma vie de lecteur, avec la littérature française. Mon père (Merci, Papa) m’a passé cette passion en me mettant entre les mains un vieil exemplaire poussiéreux de Paul et Virginie dont il manquait  .... les trois dernières pages !!!!

Je me suis en quelque sorte fait les armes avec cette littérature occidentale tout aussi riche : Les  Misérables, Notre Dame de Paris, Quentin Durward, Le voyage de Gulliver, Croc Blanc ... !!! C’est juste après avoir dévoré l’œuvre "étourdissante" du formidable Alexandre Dumas, que j’ai su que sa grand-mère était une esclave d'Haïti, et son père un métis (né d'un père officier colonial, un peu comme le cas de Bob Marley ). L’ayant su quand je lisais Les trois Mousquetaires, Vingt ans après, La tulipe noire, ou encore Le comte de Monté-Cristo, j’aurais certainement eu des sentiments plus forts (si c'était humainement possible).

Par contre, ce n’est que récemment que j’ai découvert, avec l’article de Adjobi, que les origines de Dumas ont été soigneusement et systématiquement oubliées pendant qu'on enseignait ses œuvres à l'école française. Combien de français connaissent les origines de Dumas? Le discours du président Jacques Chirac lors du transfert des cendres de l'auteur au Panthéon, est un pas vers la réhabilitation. À (faire) suivre, d'actes.

Quant à son père, l'illustre  Général Dumas, 1er général 4 étoiles d’origine afro-antillaise de la République Française (à 32 ans ), bras armée de Napoléon, sa mémoire a, on dirait, été effacée de l'histoire, pour avoir bien malgré lui, fait de l'ombre, au tout-puissant Bonaparte (cf. Tom Reiss).

Revenons à l'auteur. Voyez-vous? Il semble que la question de la langue et de l’identité soit aussi vieille que le monde, et qu'elle ne date pas de Césaire et Kateb Yacine. Le raisonnement des contemporains de Dumas (et des colons, après l'esclavage), était qu’un sous-humain (le noir, en fait, soit-dit en passant, on reste noir quel que soit son pourcentage de négritude, ou de sang noir.) ne devrait pas maîtriser une langue aussi noble que la langue française! Cela évoque bien sûr la ligne de pensée de Senghor, en tout cas à ses débuts, quand, il fallait battre le colon sur son propre terrain. Pour lui, en  étalant une maîtrise parfaite de la langue française, langue supérieure, le noir pouvait démontrer son intelligence humaine, et rétablir son statut d'être humain à part entière face au colon.

On a vu les critiques, par la suite, de Soyinka, qui estimait que le tigre ne crie pas sa tigritude. Il bondit sur la proie et la dévore. Soyinka  appelait en fait à la philosophie de l’action qui, ultimement donnait sa valeur à l'Homme et à ses paroles. Cette philosophie-ci, l’Afrique en a besoin, surtout le Sénégal, où la parole semble avoir des pouvoirs magiques qui peuvent construire des châteaux. 

Dumas rejoint donc Soyinka quand il dit « Lorsque j'ai découvert que j'étais noir, je me suis déterminé à ce que l'homme voit en-dessous de ma peau ».

Les actes sont le seul paramètre, au bout du compte, par lequel l'homme se respecte et se fait respecter, peu importes ses origines.

À  méditer

Malé Fofana PhD

ComUnicLang-Bataaxel
Cabinet de communication
Sciences du langage et communication
Sherbrooke, Québec, Canada

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