Idéaux et fléaux de la justice: Mass Seck et Canal +

"I never lose, I either win or learn" 
Nelson Mandéla

Le contentieux qui lie Mass Seck et Canal +, m'a ramené  à une réflexion qui m'a toujours semblé si lointaine....depuis Le docker noir

Mass Seck accuse Canal+ d'avoir plagié l'idée d'une histoire qu'il avait écrite, et qu'il leur avait soumise. Après l'avoir refusé, la grande chaîne aurait repris le même scénario, à son compte, ce qui a donné la série Sakho Mangane....
... 
Quand j’étais jeune, je me voyais suivre plusieurs carrières, pour affûter  mes armes, en argumentation. Mais je ne voulais pas être avocat....car ce métier était catalogué  (et aujourd'hui encore), comme celui-ci d'un individu qui peut tromper ou mentir, pour arriver à ses fins.

Le film L’avocat du diable, formidablement interprété par Keanu Reeves et Al Pacino, nous en donne une formidable illustration.

Par essence, le rôle de l’avocat n’est pas de mentir (je me permets de reprendre ce terme banni en argumentation). C’est un métier noble, à l’origine, accepté par la philosophie religieuse, les religions révélées, comme l'islam,  mettent en avant leur livre sacré, comme des entités qui se feront l'avocat (al Mu'niss) des fidèles. Le concept de religion semble bien inadapté, ici. Il semble fossilisé et grammaticalisé, même si les citations  aux frontispices des palais de palais de justice, y font souvent allusions ... C'est comme cette personnalité publique, au Sénégal, en 2006, qui, faute de preuves acceptées, devant la barre, dit "le jour du jugement personne ne pourra démentir les 440 milliards"!! Cela ne pèse pas lourd, ici bas,  devant un juge...

Le rôle de l'avocat, disais-je, n’est pas de mentir. Mais il est souvent dévoyé: science sans conscience.....
C’est comme l’invention de la dynamite, ce n’était pas pour éliminer des vies...

En argumentation, nous avons ce qu’on appelle l’argument de cadrage. En laissant chacun y recourir, son but, ultimement,  est de multiplier les points de vue, pour permettre d’observer un objet depuis des angles différents. Plus les perspectives sont nombreuses, plus complète sera notre perception.

L'argument de cadrage

En multipliant les angles, on peut mieux comprendre ce qui s'est passé, et mieux juger....:

Angle 1- Il faut que la victime  porte plainte, afin que l'affaire vaille la peine d'être analysée. 
Parce que c'est un processus lourd qui se déclenche, mais aussi parce qu'il faut que l'affaire soit motivée:
- dans le sens linguistique et juridique, autrement dit : instruit, documenté;
- dans le sens courant : une des parties doit le solliciter. Nous pouvons être bien révoltés par un acte alors que le premier concerné ne l’est pas. Nous pouvons aussi tout autant trouver une affaire bénigne, alors qu'elle pèse lourd sur le cœur et le dos du plaignant;
Angle 2- il faut savoir dans quel état d’esprit était l’accusé pour faire ce qu’il a fait, (circonstances psychologiques internes). Très souvent, dans le feu de l'action, la personne concernée n'a pas la lucidité de prendre de la distance pour décrire ce contexte (l'avocat doit l'y aider);
Angle 3- il faut des témoins pour donner une perspective autre (circonstances physiques externes). Une reconstitution des faits, pour déterminer comment l’acte incriminé apparaît concrètement;
Angle 4- interrogatoires et contre-interrogatoires pour déceler les incohérences; 
Angle 5- le regard de citoyens ordinaires (jury) pour multiplier et faire la somme des perceptions....
Angle 6- et en fin, un juge, un individu non-ordinaire, qui  observe tout cela du haut de son expérience et de son savoir....

La multiplication de ces barrières à franchir, vise à :
a- cerner les faits,
b- confondre les fraudeurs. En effet, leur plan pourrait souffrir d'incohérences face à ces vérifications et contre-vérifications. 

Et l'objectif est de faire triompher la vérité, ou plutôt la justice...

Avantage et inconvénient

Ce dispositif peut, toutefois, se retourner contre la victime. La plaignante  doit, autant que l'accusé, franchir toutes les barrières pour prouver qu'elle a bien été lésée. Figurez-vous que le bourreau connaît la procédure (démocratiquement exposée), et qu’il  peut la contourner, la détourner, et la retourner. Mais il faut aussi remarquer que le bourreau qui prépare son coup, planifie d'avance sa défense,  alors que la victime, souvent prise au dépourvu (ne s'attendant pas à être agressée), n'a pas de planification extraordinaire à priori, et va s'armer, réagir après-coup. 

Les procédures, par leur redondance sont censées confondre les tricheurs. Elles ne se sont pas complexifiées par pure plaisir, mais par réaction aux antécédents, pour résister aux fraudeurs.
Mais elles finissent, par leur lourdeur, par être un obstacle qui bloque la victime, faible. Il faut faire preuve de génie, autant pour accuser que pour démontrer son innocence; et respecter les principes judiciaires.C'est ici aussi que l'avocat intervient.

Génies en Herbe

Mass Seck est un ami d'enfance, plus que cela, c'est un alter-ego. On a fait les bancs ensemble, nos salles de classe étaient trop exiguëes pour nous, le CEMT trop petit, la région de Diourbel, le Sénégal et le monde, notre champ de perspective (cavalière).  On s'est l'un face à l'autre battus, sans se mettre des bâtons dans les roues. Il a existé entre nous, une confrontation intellectuelle fondée sur un respect, et une admiration mutuelle. Nous n'hésitions pas à travailler l'un avec l'autre à partager nos techniques, astuces et méthodes, confiants que chacun avait une identité propre, pour en faire le meilleur. Mass Seck a un génie foisonnant (littérature, mathématiques, sciences physiques, technologie, sport, musique, stylisme....).
Des gens comme lui peuvent être énervants. Son succès et sa facilité dans la musique, par exemple, (alors que c'est un passe-temps pour lui), peut énerver les musiciens professionnels qui vivent de cet art. Je les comprends, ses camarades de classe ont ressenti cela avant eux.....
On étaient fous d'art plastique, avec  Alboury Loum, le troisième mousquetaire.
Mass Seck a transcendé son art. Des bandes dessinées, il est passé à l'art numérique avec brio... Il avait surtout la liberté de pouvoir aller partout où  ses inspirations l'amenaient, et de le vivre à fond. Mon prof de Math nous disait "quand on est intelligent, on l'est même pour balayer". 

Tout ceci pour dire  que le scénario, et l'univers filmique dont Mass Seck réclame la paternité, est bien plausible, et sur tous les angles. Sa passion pour les litiges policières est bien connue, depuis Rick Hunter. Pour ce qui est de son inspiration, il est revenu à la mythologie africaine après avoir fait le tour de la cosmogonie Scandinave et Grecque.
Mais ce plaidoyer-ci ne vaut pas lourd devant un juge.

La force des réseaux sociaux

Il est possible de se rendre compte que dame justice est bien lourde, à juste titre, avec tous ses atours. Récemment, au Canada, un jeune chanteur a eu affaire à un équipage d'une compagnie aérienne qui a manqué de tact et d’égards envers lui,  au point que sa guitare préférée s'est trouvée cassée en deux.  Face à une procédure judiciaire, coûteuse en temps et moyens, il a préféré faire une petite chanson avec une (autre :) guitare. Par chance, sa chanson est devenue virale sur le net. La compagnie aérienne lui a, sur le champ, présenté excuses et dédommagement conséquent...

Donc jouer avec les réseaux sociaux peut être payant. Les réseaux sociaux ont une force immense, mais c'est aussi un coup de dé, car au cas où l'effet escompté ne se produit pas, le plaignant y aura fourni des preuves que l'accusé pourrait reprendre, pour se préparer à les contourner ....

Si la culpabilité présumée de Canal + s'établit formellement, ce qui n'est pas gagné, Mass Seck pourrait être approché pour acheter son silence (ou plutôt renoncer à sa plainte).

L'activiste et Patriote qu'il est acceptera-t-il une compensation matérielle uniquement, ou luttera-il pour la victoire symbolique de la renaissance du génie noir africain?

Espérons qu'il en arrive à cette question. Mais c'est sa prérogative, à lui, tout seul!!.
Ce choix lui appartient.


Le défunt Moussa Ngom, a dit un jour:  Artiste du'o daan'u (un artiste ne perd jamais). On le répète souvent. Mais on n'oublie, aussi, qu'il a, dans son inspiration, ajouté, bu fonk'e'e ligueey'am (s'il fait son travail comme il se doit). La question est : c'est quoi cette condition? le fameux si : l'amour de son art? le respect et la connaissance des procédures judiciaires?.....


Moussa Ngom n'a pas précisé cela avant de partir, en 2015, ce panafricaniste penseur .... 

De tout cœur avec toi, mon cher, Mass Seck,
Bonne chance !!

Malé Fofana PhD

ComUnicLang-Bataaxel
Cabinet de communication
Sciences du langage et communication
Sherbrooke, Québec, Canada

Commentaires

  1. Excellente et très pertinente analyse Professeur... c'est une affaire qui mérite d'être suivi avec beaucoup d'intérêt

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    1. Merci beaucoup, c'est très apprécié. On va voir comment cela va finir !!!

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