Entre civisme et civilité: la désobéissance



 

À la suite de son entrevue du 17 mai 2023, le président Sonko s'est prononcé sur plusieurs sujets. Je me permets de revenir, avec une analyse sur le plan discursif et sémantique, sur la méthode de lutte qu'il préconise.

Prestance et constance 

Ceux qui prétendent que le président de Pastef les Patriotes n'est pas constant en appelant à la résistance pacifique après avoir décrété la loi du Talion, pourraient avoir perdu de vue le fait que le concert de casseroles est une forme de résistance pacifique. Pourrions-nous raisonnablement dire qu'il en est arrivé ici aujourd'hui, car il y aurait été contraint? 

L’action physique qu'on pourrait lui attribuer, est en fait une -action, de légitime défense, lorsqu’il a été physiquement attaqué dans les locaux de l'Assemblée Nationale.

Quant à ce qui cause présentement l'émoi des bien-pensants, il est question d'une promesse de riposte qu'il a soulevée pour la prochaine fois qu'un acte de violence physique lui serait infligée. Une riposte à la hauteur de l'affront.

Je me demande si Martin Luther aurait pu être si pacifique s'il avait vécu dans le Sud comme Malcolm X.

De l'immaturité  

Quand l'opposition Sénégalaise a eu recours aux concerts de casserole, elle a été taxée d’immature. Ceci est oublier que la résistance pacifique est l'expression par excellence de la maturité. Elle est l'arme des opprimés; adoptée par Serigne Touba et Mame Maodo Malik. Elle est l'expression de la force morale qui est de loin supérieure à la force physique.

Le plus haut degré de comportement face à l'agression est de la subir et de pardonner avec une placidité telle que l'agresseur ne soupçonne pas que son acte a constitué une offense. Le degré suivant est celui de simplement faire réaliser à l'agresseur qu'il a causé un désagrément sans prendre d'autres mesures, ce qui pourrait, par ailleurs, faire penser qu'on ne dispose pas des moyens de se défendre. Le niveau suivant est de manifester verbalement son désaccord, de démontrer à l'adversaire qu'on a les ressources physiques pour se défendre, puis décider de ne pas retourner le coup. Après avoir passé toutes ces étapes, une réaction est possible; À la mesure de l'affront. Le leader de Pastef a suivi toutes ces étapes? À vous de juger.

Une histoire de désobéissance 

Mame Maodo Sy disait que ceux qui en savent le moins sont les plus prolixes en critiques. Le moyen de lutte qu'est le concert de casserole n'est pas un errement de la part de Mr Sonko. Il a été vulgarisé à partir de 1832 (France, Algérie, Chili, Islande...). Pour ce qui est de la désobéissance civile. Elle est théorisée par Étienne De La Boétie (1574) et Henry David Thoreau (1849).

Le terme (désobéissance) ‘’civique’’ n'est pas non plus un errement ou un lapsus. Nous connaissons, certes, mieux la désobéissance civile. De plus, quelqu'un qui se réclame de ce genre de lutte aurait gagné à reprendre le même terme afin de tirer profit des batailles menées haut la main par Martin Luther King jr et le Mahatma Gandhi qui ont fini d'asseoir la réalité de cette forme de lutte dans la société. Si j'avais eu le loisir de créer une partition musicale pour dénoncer des injustices, à la place de la composer sous forme de musique classique ou de mbalax, je l'aurais présentée sous une allure hiphop ou  reggae,  et bénéficier de l’éthos discursif élaboré par Tupac, Dr Dre, Bob Marley, Peter Tosh, Tiken Jah Fakoly ou Lucky Dube.

La désobéissance civique, elle, a bel et bien été théorisée avant que le Président Sonko s'en empare (cf. Gilbert Boss). Cela dit, pourquoi n'aurait-il a pas pu en être l’auteur lui-même, ou prendre cette formule orpheline et lui donner des lettres de noblesse? 

Sur le plan textuel, le terme "civile" semble relever de l'affirmation de Thomas Aquinas qui défend l'idée que "An unjust law is no law at all": une loi injuste n'est pas une loi. Le terme en question insinue que la loi cesse d'exister dès lors qu'elle est injuste ou instrumentalisée. Cette forme d'organisation sociale (la législation) étant absente, il ne reste que la civilisation ou la civilité (civil) qui est le bon sens de l'Humain. Si nous le voyons sous cet angle, nous dirons que cette option est plus radicale, car elle occulte la loi et se remet uniquement au bon sens de l'humain. Par contre, le terme "civique" au-delà du bon sens qui est le propre de l'homme, reconnaît l'existence de la loi. Il pourrait plutôt relever de l'affirmation de Saint Augustin qui stipule qu’ « à une loi injuste nul n'est tenu d'obéir ». En disant ceci, il semble indiquer l'idée que le fait que certains individus garants de la loi ne respectent plus une loi n'implique pas que la loi en question, par essence, n'existe plus. Une telle posture est moins radicale et moins nihiliste et semble plus correspondre à l'idée que le président Sonko défend. Nous pourrions la comprendre de deux manières: soit la légalité est un principe immuable même si ses garants ne la respectent plus; soit il reconnaît qu'il existe encore une majorité de magistrats intègres qui font que l'esprit de la loi demeure.

Et pourquoi ne pas donner un coup de jeune à la formule de La Boétie? de la même manière que Pastef a modernisé la lutte sociale à travers sa présence sur les claviers (mafias kaccikacci) pour réveiller les esprits et entreprendre la guerre psychologique? Rappelez-vous de la Marche du Sel quand, fatigués de voir le sel qui provient de L’océan Indien monopolisé et surtaxé par le colon qui les revendent aux populations, les manifestants sous l'égide de Gandhi parcourent à pied 390 km en vingt-quatre jours, pour recueillir du sel et appeler ses compatriotes à mettre fin au monopole de l'État britannique sur la distribution du sel.  Notre « marche du sel » à nous, modernisée, dans nos terres, sous nos cieux, à cette époque-ci, sera de ne plus laisser les pays Occidentaux venir prendre nos ressources, les transformer chez eux, pour venir nous les revendre le quintuple plus cher. 

On pourrait commencer en nous réveillant, réfléchir et nous demander, par exemple, combien de lingots d'or dans l'Est du Sénégal, on saborda là.

 

Malé Fofana PhD

Linguistique, argumentation et didactique

Bishop's university

Université de Sherbrooke



 

Commentaires

Messages les plus consultés