Inondations et refondations


Déconstruire pour mieux reconstruire

Le chemin d’un Sénégal durable

Un système est assimilable à la grammaire d’une langue : invisible, mais structurant. Il ressemble au squelette du corps humain : on ne le voit pas, mais il détermine tous les mouvements et gestes qu’un corps peut réaliser. Le système n’est pas une réalité vivante en soi. Il est une structure sous-jacente et puissante qui agit dans plusieurs dimensions, y compris celles que nous ne soupçonnons pas.

On en retrouve des traces jusque dans des problèmes concrets, comme les inondations. Un ami architecte, Jacques M., amoureux du Sénégal, me confiait, il y a plus de vingt ans déjà, que notre pays est le seul où l’on construit d’abord avant de creuser en dessous - pour faire des aménagements. Les gens sensés, disait-il, creusent d’abord pour viabiliser, puis seulement après, ils construisent. Il parlait bien sûr avec une pointe de sarcasme, cette fine pointe semblable à celle de l’iceberg dont la vitalité tient à ses fondations immergées, représentant 80 à 90 % de la structure. Voilà une idée de la masse de travail qu’une autorité pourrait être amenée à réaliser avant que le tout prenne forme, avant que le toit soit visible, avant qu’une population insuffisamment informée et sensibilisée s’en aperçoive. Une communication efficace à propos d’une vision cohérente est nécessaire, de même que des solutions intermédiaires parallèles, pour que le peuple puisse patienter.


L’ironie de mon ami architecte cache une vérité plus profonde : dans beaucoup de pays africains, on bâtit des infrastructures sans avoir préparé les bases nécessaires, alors que dans les nations organisées, on aménage d’abord le terrain — canalisations, réseaux, fondations — avant d’élever les structures.

Changer cette logique exigera une déconstruction et une reconstruction patientes et totales, guidées par une vision d’ensemble et des règles solides, audacieuses et parfois dérangeantes. Ce sera un combat de longue haleine, qui prendra plusieurs décennies. Pour réussir, nous sommes condamnés à nous départir de concepts rétrogrades comme « njariñ, loo fèkke » qui nous dissuadent — en mots simples — de planter un arbre dont on ne verra pas le fruit. Nous sommes condamnés à nous départir des œillères partisanes qui nous empêchent de travailler ensemble et dans la continuité pour une fondation non morcelée.

Observer ce qui se passe dans le Sénégal contemporain rappelle le « système – de Babylone – » dont parlait Robert Nesta Marley : un système qui ne cherche pas à nous unir, mais à nous diviser, à nous maintenir dans les conflits.

They don't want to see us unite
All they want us to do is keep on fussing and fighting
They don't want to see us live together
All they want us to do is keep on killing one another (Top Rankin’, 1979)

Nous devons nous inspirer de nos traditions spirituelles. Comme les bâtisseurs de cathédrales dans le christianisme, travailler avec un respect scrupuleux du plan — condition de durabilité —, et accepter que nous ne verrons pas l’achèvement de l’œuvre. Les constructions de la cathédrale de Cologne ou du Dôme de Milan auront pris six à sept siècles avant que la dernière vis soit fixée. Je ne pense pas que le Sénégal ait à attendre autant de temps, mais nous devons tendre vers une force mentale indéfectible pour réussir. 

Dans la spiritualité islamique, le Coran évoque l’habitat ultime, la cité idéale que Cheikh Ahmadou Bamba appelle de tous ses vœux dans Masaaliku al-jinaan. Il fait écho aux « jardins (Jannaatin) sous lesquels (min tahtihaa) coulent (tajrii) les ruisseaux (al-anhaaru) », symbolisant des terres auxquelles aspire tout croyant, aménagées pour laisser circuler l’eau - en-dessous - avant toute construction (cf. Oustaaz Alioune Sall). Il est bien sûr ici question de ceux qui pensent qu’une parcelle de paradis puisse exister sur terre. D’ailleurs, l’eau n’a-t-elle pas pour vocation de couler ? À moins que je me trompe, la langue wolof, selon l’étymologie, nomme l’eau : N-DOX, ce qui se déplace.

Et certains nous demanderont, à nous analystes, de proposer des solutions au lieu de donner des leçons. Bien sûr, il faudra des savoirs scientifiques — qui relèvent des spécialistes —, des solutions techniques et l’intelligence nécessaire pour adapter ces savoirs à nos réalités socioculturelles, et cela incombe aux ingénieurs. Mais rien de cela ne suffira sans une véritable conscience collective, née d’une crise et d’une prise de conscience, qui nous appartient à nous intellectuels. Car si la science et la technique posent les rails, seule une volonté politique et spirituelle, portée par un sentiment partagé, permettra de faire avancer durablement nos sociétés. Il faudra que chacun comprenne et ressente au fond de lui qu’avant de construire, il faut bâtir pour semer les bases d’une vision de l’Afrique de demain.

Malé Fofana PhD 

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