Sur la berge du fleuve Doué



Je n’ai pas souhaité produire une note de lecture classique de cet ouvrage, dans la mesure où Sur la berge du fleuve Doué de Amadou Hamé Niang entretient un réseau dense de correspondances intertextuelles avec une autre œuvre publiée aux Presses panafricaines, L’Odyssée des lamantins. Cette approche-ci s’inscrit dans une perspective comparative et réflexive. La lecture du roman se construit à partir d’un dialogue entre les textes, de même qu’entre les imaginaires qui les sous-tendent, pour mettre en évidence la circulation de motifs, de figures et de structures narratives communes.

Du point de vue narratologique, le parcours de Boulba présente de fortes analogies avec celui d’Abdou. Il s’agit, dans les deux cas, d’une trajectoire fondée sur la tension entre des espaces symboliquement antagonistes : le village et la ville, l’Afrique et l’Occident, la culture d’origine et l’expérience de l’altérité. Cette friction spatiale et culturelle constitue un moteur narratif central des deux oeuvres, structurant l’évolution des personnages et leur rapport au monde. Il est possible d'y lire une forme de récit de formation, où le déplacement géographique fonctionne comme révélateur identitaire.

L’imaginaire peul traverse les deux œuvres. Il est simplement originel à Diourbel, jumelé avec celui soninké. En revanche, à Aram, sur la berge du Doué, ce n’est plus un simple décor ethnographique, mais une matrice symbolique, profonde comme une plongée de lamantin au fond du fleuve. Il y informe les systèmes de valeurs, les rapports au temps, à la nature et au sacré. Dans cette logique, la figure féminine de Saly participe pleinement de cette dynamique intertextuelle. L’ironie narrative veut qu’« une Saly puisse en cacher une autre » : l’une accède à une forme d’élection symbolique, tandis que l’autre demeure marquée par la déchéance au profit de Hawa. Ce jeu de symétrie et de dissymétrie renforce l’effet de miroir entre les textes et ouvre une réflexion sur les possibles narratifs et leurs bifurcations.

La poétique du fleuve constitue sans doute l’un des points de convergence les plus saillants. Le fleuve est purement symbolique dans L’Odyssée des lamantins. En revanche, le fleuve Doué ne relève pas seulement de la fonction référentielle, Sur les berges du fleuve Doué; il est un puissant personnage omniprésent. Il acquiert un statut actantiel au sens greimassien du terme : il agit, oriente, contraint et accompagne les destinées humaines. Le fleuve, un espace à la fois frontière et passage, mémoire et projection, lieu de l’épreuve autant que de la révélation. Cette centralité confère au récit une dimension quasi épique, où la nature dialogue constamment avec l’humain.

Sur le plan stylistique, Sur la berge du fleuve Doué adopte une écriture volontairement sobre, presque classique. Ce choix esthétique renforce la densité symbolique du texte. L’usage soutenu du passé simple contribue à inscrire les événements dans un temps narratif distancié, proche de celui du mythe ou du conte, créant un effet de suspension entre réalisme et onirisme. Les transitions abruptes entre les scènes participent d’une poétique de la discontinuité, produisant une atmosphère fantasmagorique qui brouille les frontières entre les plans du réel.

Cette sobriété formelle n’exclut nullement la complexité thématique. Au contraire, les problématiques contemporaines — mobilité, déracinement, conflits de valeurs, recomposition identitaire — sont abordées avec retenue et précision, sans surcharge discursive. Le texte réussit ainsi à articuler une écriture de l’épure avec une réflexion profonde sur les mutations du monde moderne.

En définitive, Sur la berge du fleuve Doué se distingue par une tension féconde entre légèreté stylistique et densité symbolique. C’est dans cette articulation maîtrisée entre intertextualité, construction narrative et poétique que réside, à mes yeux, la force singulière du roman.

La rencontre avec Amadou Hamé Niang, ainsi que nos personnages, véritables âmes sœurs, fait naître une gémellité tendre que seule la littérature peut révéler.

Malé Fofana PhD
Comuniclang.com 




Commentaires

  1. Très belle note de lecture. Une réflexion approfondie et très juste dans l'analyse thématique et stylistique. L'approche comparative avec ton magnifique roman L'ODYSSÉE DES LAMANTINS, quoique brève, est d'une telle densité intellectuelle que je me ferais le plaisir de prolonger cette belle alchimie entre nos textes. Bravo encore mon frère et merci.

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