À son corps défendant, entre le message et le messie


Image Yewwi askan wi - Législative 2022

"Ne déshumanisez pas les grands de ce pays.  Ils sont plus glorieux en ayant réalisé leurs exploits en tant qu'humains, comme vous et moi".

Oustaz Mbacké Sylla 

Cette réflexion, destinée, à l'origine, à l'image attribuée aux personnalités du culte, est bien pertinente. Voler dans les airs n'est pas un exploit pour Black Panther! Serigne Saliou nous a toujours dissuadé de dire que personne ne peut être comme Serigne Touba. Cela nous enlève le goût d'essayer.

Cette question nous ramène à celle de l'idéalisation, dont l'un des problèmes est le fait de se reposer sur un individu.  Pourtant, le peuple Sénégalais n'est pas fainéant et ne manque pas d'énergie. C'est le même son de cloche partout en Afrique. Ils ne sont pas paresseux quand ils traversent le Sahara ou l'Atlantique pour trouver du travail. Loin d'eux la paresse, quand, sous le soleil de plomb, du lever au coucher, ils arpentent la ville, la marchandise sur les épaules. Mais, il est bien difficile d'accepter de verser de l'eau dans un seau en ayant la certitude qu'il est perforé de mille trous. C’est comme établir son élevage de bétails. Puis se le faire enlever, sans suite, par des agresseurs, en toute impunité...

Pour avoir de la motivation, un peuple a besoin d'avoir la conviction que l'argent pour lequel il travaille dure, quelqu'un n'en reçoit pas le double, ou plus encore, les bras croisés. Ce n'est pas facile de suivre les consignes d'un dirigeant qui ne donne pas l'impression de montrer par l'exemple ce qu'il dit et dicte.

Le peuple est résiliant, mais il est tellement sur sa fin que l'expression d'une volonté politique qu'il trouve authentique, après tant de déceptions, relève d'un miracle. Mais ce miracle n'est pas une fin en soi. Juste un commencement. C'est peut-être contre un tel mirage que le Président Ousmane Sonko veut prémunir le peuple.

Ceci pourrait expliquerait sa réticence devant la dévotion dirigée vers sa personne. Il est probable qu'il prie pour un peuple éveillé et rationnel. Mais il est indéniable qu'il est pris, à son corps défendant, entre l'image et la magie, de celle du message et du messie.

Mais la dévotion est malgré tout inévitable. Il en faut, de la dévotion, pour faire des manifestations. Il en faut pour affronter les forces de l'ordre. Il en faut pour continuer à marcher quand un camarade tombe sous un coup de feu. N'en faut-il pas pour les dirigeants de l'opposition eux-mêmes pour continuer d'avancer malgré les coups bas? Et il semble que cette volonté manque aux gens du pouvoir, partout en Afrique, ce qui leur aurait permis de mettre en œuvre les grands projets du continent. Et à bien y regarder, pour le leader de Pastef lui-même, la ferveur érigée autour de lui semble n’être que le reflet de l'intensité et de l'ardeur qui se dégagent de ses propres faits et gestes.

Mais mis à part ceci, ne fallait-il pas de la dévotion, pour les partisans de Pastef, afin de restaurer l'image de leur chef victime d'accusations dont les auteurs peinent encore à fournir des preuves?

Cette réticence n'est pas nouvelle, pourtant, il en a parlé dans son livre Solutions. Mais les livres tout comme les programmes se lisent peu. Il y souligne que l'ère de la magie est révolue; que le peuple doit être le garant des responsables politiques afin de leur rappeler leurs devoirs une fois au pouvoir, de ne pas les laisser aller à la facilité. Non pas pour les pousser à se faire immoler sur l'autel des grandes puissances mais plutôt pour leur rappeler leurs responsabilités autant que pour leur servir de bouclier. Cette lutte qu'il mène contre la langue de bois est à l'origine de son discours "trop dure" pour le goût de certains. Il est possible de penser qu’il ne veut pas se muer en vendeur d'illusions, et susciter de nouvelles déceptions. 

Il aurait pu, en effet, promettre monts et merveilles et s'octroyer l'appui du peuple, au risque de sonner le réveil des démons sommeillant du vieux continent. Mais, il s'est opposé à ceux qui prétendaient que pour avoir le peuple il faut ruser, ne pas lui dire les faits afin de ne pas l'effaroucher, puis agir à sa guise une fois au pouvoir. Il résiste toujours à ceux qui lui demandent encore de ne pas promettre audits et poursuites aux "corrupteurs", quitte à leur taper sur les doigts une fois au pouvoir. Il aurait pu le faire, sauf qu'il aurait fait du wax-waxet, et aurait, dans la foulée, instrumentalisé la justice pour régler des comptes politiques. Quand et si il arrive au pouvoir, bien sûr.  Déjà vu. Tous ces actes forts militent en faveur d'une personnalité singulière, d'où la fébrilité de ses partisans.

Alors qu'il ne compte pas faire oublier sa personne, car aujourd'hui, la parole publique (et privée d'ailleurs) semble galvaudée, au point que l’auditoire se reporte sur les actes afin que ceux-ci leur fournissent des indications sur le crédit à accorder aux mots. Les actes garantissent la parole. Pas seulement au Sénégal, mais partout dans le monde. C'est le propos de la Nouvelle argumentation (Amossy et Perelmann).

Mais, d'ailleurs, l'engagement et l'énergie, n'est-ce pas aussi ce dont le parti Pastef se réclame? Motiver l'intellectuel au point de lui donner la volonté et le feu sacré du militant de base, si "de base" il y a ...   Du savoir bien sûr, il en faut, (xam-xam); de la conviction (paspas); puis la détermination: pastef.  Mais il est aussi question d'équilibre entre ces deux extrêmes: Les férus de connaissances sans engagement physique;  et ceux qui sont prêts à avancer sans recouvrir au savoir ou à la réflexion.

Le monde continuera à fouiner et fouiller les faits et gestes, de toute grande personnalité, cherchant des failles. Ils le feront, eh oui, selon la définition Africaine de la politique, dans le but de trouver un point faible. Car, paraît-il, chaque être, hume-t-il de l'oxygène, comme vous et moi, a un talon D'Achille. Mais d'autres scruteront les actes et la personne, pour chercher de quoi se convaincre, au-delà des mots, de quoi garantir, le poids de sa parole.

Et ces deux groupes agiront avec autant d’énergie. Cette énergie, très prisée même dans le champ religieux, car permettant de transformer en acte ce qui est dans le cœur, doit être bien gérée.

Rappelez-vous. 

Quand Mame Abdoul Dabakh, au milieu d'une prise de parole, outré par la passion aveugle dont on l'entourait, s'est vigoureusement emporté en disant:  "deglu leen li maay wax (écoutez ce que je dis) "; puis il martela avec énergie des mots qui sonnent encore à mes oreilles: "bu ma kenn applaudisser"(Que personne ne m'applaudisse).

L'honorable patriarche semblait vouloir exprimer son souhait d'être écouté plus avec la tête et moins avec le cœur...

 Malé Fofana PhD


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