L'énigme du charisme

 


D'après le dictionnaire Usito, de mes collègues de l'Université de Sherbrooke, le terme "charisme", de 1879, du grec ancien "kharisma", (1) réfère à une « grâce, faveur accordée par Dieu ». Une acception spécifiquement chrétienne du terme le présente comme un (2) « don surnaturel extraordinaire octroyé à un croyant ou à un groupe de croyants, pour le bien commun de la communauté ». Selon une perspective plus contemporaine, moins spirituelle, il s'agit d'une (3) «qualité qui confère un pouvoir de séduction et un ascendant sur les autres ». Il en ressort qu'il est question d'une aura qui relève d'un mouvement de transfert vertical (du divin à l'humain), autant que d'un principe de conférence horizontale, d'un humain ou groupe d'humains à un individu qui cristallise les aspirations symboliques d'une communauté.

Nous en arrivons donc à l'établir comme un concept relevant de l'image (1) plastique et (2) symbolique d'un individu qui a (3) un impact sur le ressenti (émotion) de l'auditoire. Il pourrait être possible, plus ou moins, de l'associer à « l’ethos » en rhétorique dans son acception perelmannienne, qui englobe le pathos.

Autant le charisme émane d'un individu à la faveur de traits concrets et abstraits, autant nous pourrions dire que le fait qu’une population confère cette image à un individu relève du culturel aussi. Comment, sans cette relativité, une même personnalité pourrait-elle bien paraître pour certains et ne pas l'être pour d'autres? Ceci nous amène à avancer que le charisme ou bien l'aura peut, autant que l'ethos, être positif ou négatif. Peut-être que finalement avoir du charisme est ne laisser personne indifférente? Ce serait le résultat d'une grande cohérence entre les paroles et les gestes de la personne, en conformité avec la culture avenante. Pour revenir au plastique, les traits physiques d’un individu sont bien sûr notables mais ne sont pas déterminants. Le physique peut faire la promotion d'un individu autant qu'un individu peut rendre un physique acceptable. Rappelons-nous le grain de beauté de Marilyn Monroe ou les cicatrices du chanteur Seal.  Les occidentaux qui se demandent quel attrait l’apparence physique du président Kim Jong-un de la Corée du nord aurait-il semblent oublier que les canaux de la beauté ne sont pas universels.

Il est donc clair qu'il existe une dimension culturelle non-négligeable dans la question du charisme. Mais au-delà de cette dimension globale que définit chaque idéal social, il en existe une qui repose sur une perception individuelle non négligeable. En effet, les attraits et attributs supplémentaires qu’autrui aurait de plus que nous, c'est nous qui, consciemment ou inconsciemment, le lui accordons.  Un jour, un individu en sueur et sous le choc est entré chez le prophète (psl) avec qui il avait rendez-vous. Questionné à propos de son émoi, il lui confesse avoir sur le chemin  entraperçu  les dessous nus, furtivement dévoilés par le vent, d'une femme croisée sur le chemin. Le prophète (psl) lui demande alors, puisque cet individu avait bel et bien une épouse, de retourner chez lui, et de bien observer celle qu'il a laissée chez lui. Il verrait que l'illustre passante dont il se pâme d'émotion ne possède rien que celle qu'il a laissée chez lui n'a pas. Le charisme est donc aussi parfois  bien souvent dans les yeux et la tête de celui qui regarde.

Il parait que le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye gagne en charisme. Est-ce une qualité qu'il avait, et qu'il développe par la suite, progressivement? Cette image lui a-t-il été conférée par sa nouvelle stature institutionnelle? Est-ce une qualité,  en chaque individu, innée, qui se développe avec les épreuves comme un lingot d'or entre les mains d'un artisan? La constante cohérence entre les actes et les mots d'un individu semblent aussi être en jeu. Le développement du charisme semble tout autant se développer dans le cas où les épreuves formatrices et transformatrices d'un individu sont subies devant les yeux de la population, sous les feux de la rampe. Par exemple, les épreuves auxquelles le Président Ousmane Sonko a été soumis,  confirme d’une part une certaine réputation préalable,  mais il les a subies sur la place publique, au grand jour, sous le soleil de Ndoumbelaan, à même les racines centenaires du baobab-pènc.

Pour revenir à la dimension inconsciente du charisme, prenons par exemple l’habillement du Président Ousmane Sonko,  leader de Pastef, lors de sa rencontre avec Jean-Luc Mélanchon à l’Ucad, le 17 mai 2024. Il me renvoie personnellement à celui des grands panafricains comme Nyerere et Kenyatta, il peut ramener aussi, à la faveur du plastique (barbe courte et lunettes) à une scène du film Hurricane Carter (1999) où Denzel Washington incarne le boxeur activiste Robin Hurrican Carter immortalisé par Bob Dylan. Celui-ci a brillé pendant près de vingt ans d’incarcération injustes par son inflexibilité et son refus de la compromission.

Peu de discours politiques sur l’Afrique contemporaine ont autant fait couler d’encre que le discours de Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007, à Dakar. Mais réplique ne pouvait être d'égal impact que proclamée à travers un canal équivalent, et dans un endroit similaire, au temple du Dernier pharaon noir, Cheikh Anta Diop.

Quant à Denzel Washington,  pour revenir à Hurrican Carter,  il  est connu pour sa constance dans la construction de l'imaginaire du droit civique noir. Nous pourrions citer le rôle de El Hajj Malik el Shabaaz, dans Malcolm X (1992), ou encore celui de Steve Biko, héros de l’apartheid, Cry Freedom (1987).

Mais cette fois-ci, nous ne sommes plus dans la nostalgie contemplatrice du passé, ni le futur fictionnel du Black Panther de Wakanda.  La posture du duo Diomaye- Sonko fait face à des défis qui tiennent en haleine tout un continent.    

Dalla Malé Fofana PhD,

Linguistique, didactique et communication,

U. de Sherbrooke/Bishop’s University

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